mercredi 5 décembre 2007

Mines, contamination et santé en Équateur

La recherche donne lieu à des mesures concrètes pour améliorer la santé.


L'exploitation aurifère a cours depuis des siècles dans les montagnes du sud-ouest de l'Équateur. Aujourd'hui, l'activité minière se fait à petite échelle, mais les problèmes qu'elle engendre sont considérables -- sécurité déficiente, contamination de l'environnement et détérioration de la santé humaine. Des chercheurs étudient les répercussions des activités minières dans diverses collectivités installées le long du fleuve Puyango. Ils ont constaté que ces effets s'étendent bien au-delà de la zone immédiate d'exploitation.

« L'exploitation minière remonte à loin. Nous sommes enfants de mineurs. Nos grands-parents aussi travaillaient dans les mines. »

« Tout ce qui nous entoure est contaminé. Mais nous avons été un peu aveugles -- c'est la première fois dans l'histoire de cette ville qu'un groupe environnemental vient nous aider à régler le problème. Sans doute est-ce un peu tard, mais au moins il est là. »

Ce sont les paroles d'Alexandra Jaramillo, membre d'une nouvelle instance municipale créée pour s'attaquer aux problèmes environnementaux et de santé générés par l'exploitation minière à petite échelle à Zaruma et Portovelo, deux petites villes de l'Équateur. Cette autorité municipale -- la première à être créée dans la longue histoire de ces deux villes -- a été formée à l'issue d'une recherche parrainée par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) du Canada. Des chercheurs, réunis en une équipe transdisciplinaire, ont étudié les liens qui existent entre l'activité minière, la contamination environnementale et la santé. Les résidants de Zaruma et Portovelo ne sont pas les seuls à en souffrir. Les répercussions de la contamination atteignent même les populations vivant en aval du fleuve Puyango qui traverse la région et se déverse au Pérou, à plus de 100 kilomètres de distance.

L'exploitation minière

L'extraction de l'or et de l'argent se fait depuis des siècles dans les montagnes de Zaruma et Portovelo -- les Incas se livraient déjà à l'exploitation aurifère lorsque les Espagnols fondèrent la ville de Zaruma en 1549. Toutefois, l'extraction de l'or s'est intensifiée lorsque qu'une société minière étatsunienne, la Southern American Development Company (Sadco), obtint la mainmise sur les principaux gisements d'or du district, en 1897. Au cours des 53 années qui suivirent, la Sadco a extrait près de 3,5 millions d'onces d'or et 17 millions d'onces d'argent d'environ huit millions de tonnes de minerai.

Lorsque la Sadco a quitté le pays en 1950 en raison de l'augmentation des coûts et des taxes, le gouvernement équatorien a pris possession de la mine. Mais les rendements diminuaient constamment et, éventuellement, la mine a été abandonnée. En 1984, des mineurs luttant contre la pauvreté ont envahi les vieilles mines de la Sadco et, depuis lors, de petites exploitations artisanales y survivent. Aujourd'hui, on compte dans cette région des centaines de petites mines d'or.

Ces mines sont peu sûres, mal aérées et chaudes, sans compter la menace constante d'éboulements. À l'aide d'outils et d'équipements simples, des hommes et des gar-çons d'à peine douze ans passent de longues heures à travailler d'arrache-pied à l'extraction de l'or. Souvent, ils travaillent avec des membres de la famille ou en groupes improvisés qui achètent des matériaux comme la dynamite et le bois qui servira à consolider les murs et les plafonds pour prévenir les éboulements lors des explosions. Ils partagent ensuite entre eux les profits provenant de l'or qu'ils ont réussi à trouver. C'est une entreprise aléatoire : certains mois, ils n'en trouvent pas assez pour faire leur frais.

L'activité minière à petite échelle est dangereuse en soi, mais le traitement de l'or peut aussi être toxique. Lorsque les mineurs découvrent un filon, ils peuvent séparer l'or du minerai eux-mêmes ou avec l'aide d'un intermédiaire, ou encore, apporter leur découverte à l'une des usines de transformation de l'or de la région.

Si les mineurs s'occupent du traitement de l'or eux-mêmes ou avec quelqu'un d'autre, ils le font toujours à l'aide d'un vieux procédé peu coûteux, efficace et tellement néfaste pour la santé et l'environnement qu'il est interdit dans de nombreux pays : l'amalgamation au mercure. Après avoir été broyé et tamisé, le minerai est combiné au mercure qui adhère à l'or pour former un amalgame compact qu'on appelle « gâteau » ou « tourteau ». Les mineurs chauffent alors l'amalgame pour évaporer le mercure et récupérer les pépites d'or qui s'en détachent. Sous cette forme, le mercure est d'une telle toxicité que la technique de l'amalgamation présente un danger non seulement pour ceux qui procèdent à l'opération, mais aussi pour tout l'entourage. On sait que l'exposition chronique au mercure entraîne divers troubles neurologiques, dont une vision floue, des tremblements, des malaises et des pertes de mémoire.

Ce danger n'est pas nécessairement connu, explique Jaramillo. « L'extraction de l'or est considérée comme un procédé naturel. J'ai vu de tout jeunes enfants jouer avec du mercure », ajoute-t-elle. « Les grands-parents ne croient pas qu'il soit utile de changer de façon de procéder. Ils sont d'avis qu'il est inutile de prendre des précautions. »

L'incidence de la contamination
De plus en plus, les mineurs apportent leurs sacs d'or brut à l'une des 100 usines de transformation qui longent le fleuve Puyango. Ces usines emploient une technique d'extraction mécanisée et plus efficace qui fait aussi appel au mercure. Ce procédé laisse des résidus boueux qui contiennent un mélange de plomb, de mercure, de manganèse et de divers cyanures. Éventuellement déversés dans le réseau fluvial, ces résidus polluent l'eau et tuent toute vie aquatique dans la région.

Divers examens, dont des prélèvements de sang, ont révélé une exposition chronique aux métaux lourds (photo : FUNSAD : Oscar Betancourt).


Non seulement cette contamination nuit-elle à la santé des populations de la région immédiate, mais elle est aussi néfaste pour les paysans qui pratiquent une agriculture de subsistance dans des collectivités éloignées, près de la frontière péruvienne. Voilà une des conclusions auxquelles est arrivée une petite organisation non gouvernementale de l'Équateur, la Fundación Salud, Ambiente y Desarrollo (FUNSAD). Grâce à l'appui du CRDI, des chercheurs de la FUNSAD ont étudié la pollution causée par les métaux lourds et les cyanures provenant des procédés d'affinage de l'or, examiné l'incidence de ces contaminants sur la santé humaine et fait des rapprochements entre les conditions socio-économiques et culturelles qui influent sur la façon dont les gens interagissent avec l'environnement. Ils ont étudié en particulier des collectivités situées à trois niveaux le long du réseau fluvial Puyango : Zaruma et Portovelo, près du sommet; un secteur-échantillon au centre; et plusieurs petites collectivités au bas du bassin, près du Pérou.

« Notre recherche est fondée sur l'approche écosystémique de la santé humaine », explique le Dr Oscar Betancourt, directeur de la FUNSAD. « Nous savons que les problèmes associés aux activités minières sont très complexes. Et les façons dont les êtres humains interagissent avec leur environnement sont nombreuses -- ils peuvent être tributaires du fleuve pour les nécessités de l'existence, comme l'eau et la nourriture, par exemple. Puis, il y a des facteurs économiques, culturels et techniques qu'il nous faut comprendre. »

L'équipe de recherche, formée de trois médecins, deux géologues, une sociologue et une travailleuse en développement communautaire, avait pour objectif de percer la complexité des problèmes auxquels les collectivités riveraines faisaient face. Ils ont adopté une démarche transdisciplinaire pour mener leur recherche sur trois fronts. Ils ont effectué des tests pour détecter dans l'environnement physique la présence de mercure, de plomb, de manganèse et de cyanure; examiné les gens pour déceler des signes de surexposition aux métaux lourds et à la cyanure; et fait un sondage afin de recueillir des données économiques et sociales et d'autres informations sur les diverses façons dont les gens interagissent avec l'environnement.

Le sondage, en particulier, a été déterminant pour aider les cher-cheurs à comprendre précisément comment et pourquoi la contamination environnementale était préjudiciable à la santé humaine. Les gens buvaient-ils de l'eau directement du fleuve ? Connaissaient-ils les risques de l'amalgamation au mercure ? Les femmes et les hommes étaient-ils exposés à la contamination de la même manière et dans la même mesure ? En découvrant les réponses à ce genre de questions, les chercheurs espéraient préparer le terrain pour trouver des moyens concrets d'améliorer la santé humaine de façon durable.


Les effets de l'exposition au plomb

Le corps humain ne fait pas la différence entre le plomb et le calcium; aussi, le plomb est-il absorbé dans les os où il s'accumule pour toute la durée de vie. Les effets chroniques sont souvent attribués à de faibles expositions pendant une longue période. Fatigue excessive, irritabilité nerveuse, tremblements légers et engourdissements sont quelques-uns des symptômes. Mais, comme ces symptômes sont communs à une foule de problèmes de santé, ils peuvent souvent passer inaperçus.

En outre, les enfants de moins six ans s'exposent à des dangers particuliers. Parce que leur corps se développe rapidement, même l'exposition à de très faibles concentrations de plomb peut avoir des effets néfastes permanents, notamment sur le système nerveux et les reins, provoquer l'atonie musculaire et réduire la croissance osseuse. La surexposition au plomb peut entraîner des difficultés d'apprentissage.


Une approche transdisciplinaire

Dans chacun de ces trois écosystèmes, les chercheurs ont testé l'eau du fleuve ainsi que les matières solides en suspension et les sédiments qui s'y trouvent. Dans le bassin inférieur, ils ont aussi examiné les poissons et d'autres sources de nourriture. Ils partaient de l'hypothèse que la contamination de l'eau et de la nourriture serait surtout attribuable au mercure -- et, de fait, ils ont décelé la présence de mercure dans l'eau, en particulier près des usines de transformation. Cependant, signale Betancourt, « le plus surprenant a été de constater que l'eau était surtout contaminée par le plomb ». Les lectures faites aux usines de transformation étaient extrêmement élevées et, en aval, les concentrations de mercure étaient 16 fois plus élevées qu'à la source du fleuve.

Pour comprendre dans quelle mesure cette contamination nuit à la santé de la population, les chercheurs ont fait appel à diverses procédures médicales. Ils ont effectué des examens cliniques; analysé des prélèvements de sang et des échantillons d'urine et de cheveux; et administré une batterie de tests de comportement neurologique. Ces tests rapides et simples peuvent révéler des signes subtils d'exposition chronique aux métaux lourds. Entre autres conclusions d'importance, la FUNSAD a constaté que les gens vivant dans le bassin inférieur ainsi que les habitants de Zaruma et Portovelo étaient porteurs de fortes concentrations de plomb. Les résidants du bassin inférieur avaient également des symptômes de troubles de comportement neurologiques relatifs à la motricité fine, au champ de l'attention et à la mémoire.
Le questionnaire élaboré par les chercheurs a permis de mieux saisir le phénomène. En collaboration avec une équipe de la collectivité locale, ils ont recueilli une vaste gamme de renseignements sur la façon de vivre et de travailler des villageois. La collecte d'information a notamment porté sur le niveau d'instruction, le revenu et le nombre d'années passées dans la région. Les chercheurs ont aussi demandé aux gens quel usage ils faisaient de l'eau du fleuve et s'ils la considéraient comme polluée. Et puisque les gens installés le longdu réseau fluvial Puyango se livrent occasionnellement à l'orpaillage à la batée comme activité d'appoint, les chercheurs leur ont aussi posé des questions sur leur degré d'exposition aux amalgames contenant du mercure. En outre, ils ont voulu connaître le point de vue des membres de la collectivité sur la contamination, la prévention et la protection -- et savoir dans quelle mesure ils étaient informés sur ces questions. Les femmes ont été interviewées séparément des hommes et on leur a posé des questions sur leur rôle et leurs responsabilités. Au total, environ 180 personnes ont participé au sondage.

Les chercheurs ont travaillé avec une équipe regroupant 12 représentants de la collectivité locale. Pour beaucoup d'entre eux, la participation au projet de recherche a été une expérience révélatrice. « J'ai pris connaissance de problèmes de santé et d'environnement dont je n'avais jamais entendu parler », affirme Nelson Aguilar, un jeune homme qui a fait remplir le questionnaire. Cumandá Lucero, qui abonde dans le même sens, ajoute : « Ce que j'ai le plus apprécié de la participation à ce projet, c'est le sentiment de faire partie de la collectivité et peut-être de pouvoir faire quelque chose pour résou-dre les problèmes que nous avons ici. »
Les résultats du questionnaire démontrent que les habitants du bassin inférieur sont largement tributaires du fleuve, surtout durant la saison sèche. Comme l'explique Betancourt : « Les gens qui vivent en aval boivent l'eau du fleuve tout le temps et elle n'est jamais traitée. Ils mangent aussi le poisson qui vient du fleuve -- c'est leur principale source de nourriture parce qu'elle ne leur coûte rien. » De plus, les gens croient qu'en raison du cours rapide de l'eau, ils sont protégés contre la pollution.

À Portovelo et à Zaruma, toutefois, les gens savaient que le fleuve était contaminé -- ils pouvaient voir qu'il n'y avait pas de vie. Ils ne boivent pas d'eau non traitée et ne comptent pas sur le fleuve comme source de nourriture. Néanmoins, la recherche de la FUNSAD a révélé que la majorité des gens de la région avaient dans le sang de dangereuses concentrations de plomb. Les chercheurs comptent poursuivre leur étude des causes possibles de cette constatation. Ils ont posé l'hypothèse que la pollution de l'air et d'autres sources peuvent en être responsables.


Des liens avec le gouvernement

L'équipe de recherche a ensuite porté ses travaux à l'attention des autorités locales de Zaruma et de Portovelo. « Nous pouvons entreprendre une étude de ce problème, mais les études ne sont toujours que des études », fait valoir Betancourt. « Voilà pourquoi nous travaillons en collaboration avec les autorités locales, les mineurs et la population -- pour tâcher de trouver avec eux des solutions. »

C'est aussi à cette fin qu'un nouveau groupe environnemental municipal a été créé -- une initiative commune des collectivités de Zaruma et Portovelo. Étant donné la complexité des problèmes associés à l'activité minière, ce groupe doit relever un défi de taille. Il compte travailler avec les enseignants pour aider à sensibiliser les enfants aux dangers du mercure et avec les mineurs pour s'assurer qu'ils comprennent bien comment se protéger tout en préservant l'environnement. Le groupe entend également élaborer un nouveau code régional de pratiques écologiques dont la mise en application relèvera des municipalités.

« Nous voulons en finir avec la contamination une fois pour toutes », déclare Jaramillo. « Si nous ne pouvons en venir complètement à bout, nous pouvons au moins faire quelque chose pour améliorer la situation. »

Comme le maire de Portovelo, Segundo Orellana, le dit : « Nous connaissons le degré de contamination du bassin hydrographique. Il est certain que les résultats de ce projet nous ont permis de mieux comprendre. Avec la FUNSAD, je suis convaincu que nous réussirons à trouver des solutions qui profiteront à la collectivité. Il nous faut redoubler d'efforts, sinon la contamination empirera -- tout comme les effets que nous aurions tous à subir. »Cette étude de cas a été rédigée par Lisa Waldick de la Division des communications du CRDI.


Renseignements

Oscar Betancourt Président Fundacion Salud Ambiente y Desarrollo (FUNSAD)Jardin del ValleCalle 2-4 y 2-5 No. 395 (Monjas), Casilla 17-O7-9382Quito, EcuadorTél. : (593 2) 252 5553Téléc. : (593 2) 252 5553Courriel : oscarbet@andinanet.net
Initiative de programme Écosystèmes et santé humaineCentre de recherches pour le développement internationalBP 8500, Ottawa (Ontario)Canada K1G 3H9Tél. : +1 (613) 236-6163Télec. : +1 (613) 567-7748Courriel : ecohealth@idrc.caWeb : www.crdi.ca/ecohealth

Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI)est une société d'État créée par le Parlement du Canada en 1970 pour aider les scientifiques et les collectivités des pays en développement à trouver des solutions à leurs problèmes économiques, sociaux et environnementaux. L'appui du CRDI sert à consolider la capacité de recherche indigène afin d'appuyer les politiques et les technologies susceptibles de contribuer à l'édification, dans les pays du Sud, de sociétés plus saines, plus équitables et plus prospères.


Écosystèmes et santé humaine

Il n'y a pas de frontière entre le bien-être des gens et la santé de l'environnement, lequel fournit gîte et subsistance à toutes les espèces sur terre, y compris aux êtres humains, mais présente aussi des risques. L'initiative de programme Écosystèmes et santé humaine a pour but de définir des interventions qui permettront une meilleure gestion des écosystèmes en vue d'améliorer la santé et le bien-être des êtres humains tout en préservant ou en améliorant la santé des écosystèmes dans leur ensemble.

Pour plus de renseignements, consultez le site de l' I.D.R.C., le International Developement Research Center du Canada.

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