lundi 29 octobre 2007

Semaine du 21 octobre à Domingo Savio

Un couple se promène sur l’allée de graviers du Centre Domingo Savio, visite les ateliers et échange quelques mots avec Don Ramiro, le coordinateur de la Fondation. Ces deux jeunes gens sont venus à l’atelier de ferronnerie passer une commande pour des panneaux décoratifs en fer à placer sur la facade de leur maison. Ils ont choisi de faire confiance à la Fondation parce qu’on leur garantit un travail personnalisé et de qualité, à un prix plus bas qu’ailleurs.


De la même façon, le lit que les apprentis charpentiers viennent de terminer est en réalité une commande, bien qu’ils aient pris sa réalisation pour un exercice. Le centre de formation trouve donc des clients, s’ouvre à la connaissance de la population locale et suscite un intérêt croissant, même de la part du monde médiatique : jeudi, un journaliste et un photographe sont venus visiter les lieux, interviewer le personnnel et les élèves et prendre quelques photos afin de publier un article dans le journal régional, El correo del valle.

Ce qui a plus particulièrement attiré l’attention du journaliste est l’augmentaiton du nombre de jeunes hébergés par le centre depuis sa dernière visite en 2006 (celui-ci est passé de 14 à 30). Il a discuté avec les maitres et les élèves, et s’intéresse également au travail des volontaires en charge des activités culturelles et éducatives. Ce journaliste du Comercio, organe de presse de la région de Quito, insiste sur la nécessité de faire connaître le centre au niveau international afin que les initiatives volontaires se multiplient. Evidemment, les élèves sont heureux de l’attention qu’on leur porte et Maicol, dont une photo en costume de théâtre a été prise, s’exclama « Voy a salir en el periodico ! » (« Je vais être dans le journal ! »)

Comme le note très bien le journaliste, le Centre Domingo Savio subit en ce moment des changements importants. Un processus d’officialisation des diplômes passés par les jeunes a notamment été mis en place afin que la formation soit reconnue dans le pays. Ceci leur permettra, au sortir de la formation, d’ouvrir un atelier et de devenir maîtres à leur tour. Ernesto, lui, a déja trouvé du travail dans une fabrique de meubles non loin de Conocoto. Il commencera à travailler dès la fin de son apprentissage, en décembre. Son salaire mensuel sera de 250 dollars, ce qui est assez bien dans un pays où le salaire moyen est d’environ 130 dollars américains par mois ...


Quant à l’activité théâtrale, elle se déroule plutôt bien. La capacité de concentration des élèves progresse, ainsi que leur écoute de l’autre. Durant la séance de mardi, les acteurs en herbe ont auditionné pour le rôle qu’ils avaient choisi, lisant leurs répliques avec plus ou moins de difficultés. Un des élèves, au moment de passer devant les autres, m’appela et me dit, penaud, « C’est que je ne sais pas lire, comment je vais faire ? ». J’avoue que j’ai été prise de court... ce garçon me paraissait néanmoins avoir des talents d’imitation et d’expression, alors que faire ? Je lui ai proposé un rôle plus petit, et de l’aider à l’apprendre, mais il se braqua et voulut partir... Nous avons donc décidé avec les autres volontaires qu’il nous aiderait à la mise en scène, mais la déception se lisait sur son visage...


La séance de jeudi fut dédiée à la lecture intégrale de l’œuvre finalement choisie. Nombreux sont les enfants qui ne lisent pas bien à voix haute, ou qui ne comprennent pas ce qu’ils lisent et qui n’utilisent pas correctement la ponctuation. Ce cours de théâtre va sans aucun doute les aider à développer leurs capacités de lecture et d’expression orale. Les cours de Français continuent également pendant ce temps.


La division en groupes à été judicieuse, puisque les élèves les plus avancés comprennent déjà des textes très courts et apprennent régulièrement du vocabulaire. L’autre groupe a plus de difficultés de concentration, de mémorisation, ou ne comprend pas l’intérêt de tels exercices.

Pour terminer, il faut souligner l’importance du travail de Jordi, psychologue espagnol volontaire au centre. Il prépare avec les élèves un livre narrant l’histoire personnelle de chacun, accompagnée de dessins.

Anna Postel

samedi 27 octobre 2007

Avoir l’argent du pétrole sans vendre le pétrole

ÉQUATEUR

Le président Correa propose de renoncer à l’exploitation d’un immense gisement pétrolier de l’Amazonie équatorienne à condition que la communauté internationale indemnise son pays. Sera-t-il entendu ?


Le président de l’Equateur, Rafael Correa, a fait une singulière proposition devant les Nations unies, le 24 septembre dernier, pour lutter contre le réchauffement de la planète, proposition qui impliquerait pour son pays de renoncer à 760 millions de dollars par an. “L’Equateur est prêt à faire de grands sacrifices, avec justice et créativité, pour lutter contre le réchauffement”, a déclaré M. Correa, avant de préciser ses intentions : son pays pourrait renoncer à l’exploitation du gisement pétrolier ITT (Isphingo-Tambococha-Tiputini, zone amazonienne où se trouve ce gigantesque gisement), situé dans une zone écologique hautement sensible appelée Yasuní et déclarée “réserve de la biosphère” en 1989 par l’UNESCO. On imagine la stupeur de l’assistance. “Notre pays s’engagerait à ne pas extraire les quelque 920 millions de barils de pétrole par an que le gisement pourrait fournir. Et donc à conserver intacte l’une des régions les plus riches de la planète du point de vue de la biodiversité”, a expliqué le président équatorien. Pour prix de ce “sacrifice”, M. Correa a exigé, au nom de la “coresponsabilité de la communauté internationale, une indemnisation minimale pour tenir compte des biens environnementaux” qui seront créés par cette mesure, biens qui “profitent à toute la planète”, a-t-il souligné. Cela étant, la proposition de renoncer au pétrole de l’ITT n’est pas une initiative du président Correa. Elle est défendue par des ONG qui luttent depuis des décennies contre l’exploitation pétrolière sauvage en Equateur. Ces ONG avaient ainsi lancé en avril 2007 la campagne “Yasuní dépend de toi”.


Dans une interview téléphonique, Esperanza Martínez, présidente d’Acción Ecológica, organisation leader de cette campagne, explique les raisons du projet : “Avec d’autres ONG qui soutiennent cette campagne, nous dénonçons depuis longtemps l’activité pétrolière. Comme Oil Watch [un réseau international d’organisations écologistes], nous défendons depuis dix ans l’idée d’un moratoire sur l’expansion pétrolière. Parallèlement, nous avons exigé que les collectivités locales qui résistent à l’exploitation ne soient pas réprimées, mais au contraire récompensées, car elles sont les seules à empêcher par leur résistance que l’on poursuive l’extraction du pétrole et, donc, que l’on contribue au réchauffement.” Dans ce contexte, explique-t-elle, “nous avons proposé au gouvernement de rechercher des solutions de rechange au projet pétrolier le plus important d’Equateur, celui de l’ITT”. Et de rappeler que l’Equateur a déjà payé un lourd tribut à l’exploitation pétrolière. “Ce n’est pas un hasard si c’est ici qu’a lieu le ‘procès du siècle’ contre Texaco [compagnie pétrolière américaine jugée pour catastrophe écologique].”


Le gouvernement a d’abord rejeté le projet Pour cette raison, poursuit la présidente d’Acción Ecológica, “l’Equateur s’y connaît en pétrole : nous souffrons directement de l’impact sur l’environnement, et on nous a trop longtemps raconté des sornettes – par exemple, que le pétrole allait nous faire sortir de la pauvreté”. Elle ajoute qu’un tel contexte est propice à la réflexion sur les alternatives. Toutefois, reconnaît-elle, “il n’est pas facile de convaincre le pays de la validité d’un tel projet”. Correa lui-même, dans son discours à l’ONU, a expliqué que le fait de ne pas exploiter le pétrole de l’ITT entraînerait “une perte considérable en termes d’investissements, près de 720 millions de dollars par an, une somme très importante pour un petit pays de 13 millions d’habitants, parmi lesquels environ 6 millions de pauvres”. Esperanza Martínez raconte que, dans un premier temps, le gouvernement a rejeté le projet, invoquant les énormes recettes qu’il pourrait tirer du pétrole du Yasuní. “En discutant avec le gouvernement, nous avons conçu un mécanisme d’indemnisation internationale qui nous paraît légitime, explique-t-elle. Car, évidemment, ne pas extraire ce pétrole entraînerait une réduction des émissions de CO2, et, par conséquent, bénéficierait à la planète entière.” Une telle option, néanmoins, n’a pas fait l’unanimité au sein de l’équipe gouvernementale. “Nous travaillons sur cette proposition depuis longtemps, note-t-elle. Dès la mise en place de l’actuel gouvernement, Albert Acosta, qui était alors ministre de l’Energie, a fait sienne la proposition. Le passé écologiste du ministre a joué un grand rôle, et il a su convaincre Correa.” “Le gouvernement a fixé une date butoir pour la viabilité du projet, le 1er juillet 2008, poursuit-elle. L’Espagne, l’Allemagne et l’Italie ont pris des engagements sérieux.”


Les aspects économiques font l’objet des plus âpres discussions. “Le président a dit : ‘Je veux la moitié de ce que nous gagnerions en extrayant le pétrole.’” Dans son discours du 24 septembre, M. Correa a évalué très précisément le coût du sacrifice de son pays. “Pour l’Equateur, la non-exploitation du pétrole brut représente une perte d’au moins 10 à 15 dollars par baril. Or nous ne demandons au reste de l’humanité qu’une contribution de 5 dollars par baril pour préserver la biodiversité, protéger les peuples indiens en isolement volontaire qui y habitent et éviter les émissions de dioxyde de carbone. L’indemnisation que nous demandons au reste du monde se monte à environ 4,6 milliards de dollars.” En exposant le projet à New York, le président Correa a “fait avancer les choses”, reconnaît Esperanza Martínez, même si le débat se poursuit en Equateur. Renoncer au pétrole pour le bien-être de l’humanité “Nous avons travaillé et discuté avec des candidats de différents partis pour que la Constituante aborde résolument la question de l’abandon de l’exploitation pétrolière, commente Mme Martínez. Mais il faut également repenser le modèle économique du pays, c’est-à-dire passer d’un modèle d’extraction à un modèle de production, de transformation, où la question de l’environnement joue un rôle central. Certes, ce gouvernement parle de socialisme du XXIe siècle, mais, comme le socialisme du siècle dernier, nous risquons d’oublier l’environnement.”


En outre, selon la présidente d’Acción Ecológica, “l’Equateur est inscrit dans un quadrilatère : d’un côté, nous avons le Brésil, qui a une vision proche de celle des Etats-Unis et tient par conséquent à ce que des pays comme le nôtre restent des exportateurs d’énergie ; de l’autre, nous avons le Venezuela, qui veut lui aussi que nous restions un pays pétrolier.” Et d’ajouter : “Le Brésil, par exemple, est le pays le plus intéressé par l’ITT. Il a déjà fait des propositions au gouvernement de l’Equateur ; mais, de son côté, le Venezuela nous a proposé une exploitation conjointe.” L’Equateur promouvra-t-il une troisième voie ? Le président Correa semblait le confirmer lorsqu’il a conclu sa participation à la réunion organisée par l’ONU : “La proposition équatorienne revient à repenser la notion de valeur. Dans l’économie de marché, la seule valeur possible est la valeur d’échange, le prix. Pour la première fois, un pays pétrolier, l’Equateur – où le tiers des recettes de l’Etat provient de la manne pétrolière – renonce à ses richesses pour le bien-être de l’humanité tout entière et invite le monde à participer à cet effort à travers une juste indemnisation, pour qu’ensemble nous jetions les bases d’une civilisation plus humaine et plus juste.”

Matteo Dean - Proceso

En route pour le changement

4 oct. 2007

ÉQUATEUR

Le président équatorien Rafael Correa avait menacé de démissionner si les élections du 30 septembre ne lui étaient pas favorables. Le voilà rassuré : son parti a obtenu la majorité absolue dans la nouvelle Assemblée constituante.

Après le Venezuela et la Bolivie, c’est donc l’Equateur qui se dote d’une nouvelle Constitution, qui devrait, à en croire la presse du pays, enfin introduire “le changement”. “Hier, le peuple équatorien a donné naissance à une fonction de l’Etat nouvelle. L’Assemblée constituante ne sera ni le vieux Congrès, ni le président, ni le parti du gouvernement, ni la somme de blocs partisans. C’est le début de quelque chose de nouveau, dont les signes se verront certes un peu plus tard, mais qu’il faut recevoir sans préjugés, avec une ouverture totale”, se félicite l’éditorialiste du quotidien El Universo (de Guayaquil), tout en prévenant : “On peut être d’accord ou non avec la composition de l’Assemblée, mais nous avons besoin d’institutions solides et nous ne pouvons continuer à détruire celles qui ne nous conviennent pas. Il faut donc que tous les secteurs sociaux fassent un effort pour que l’Assemblée constituante soit un succès.” “En dépit des limitations du processus électoral, il faut souligner la tenue paisible et normale de ce scrutin si complexe [les électeurs devaient choisir parmi 3 229 candidats issus de 497 partis et mouvements politiques pour désigner les 130 membres de l’Assemblée]”, souligne le quotidien Hoy, pour qui les résultats confirment “le mandat citoyen pour un changement politique mais ordonné et démocratique, respectant les différentes conceptions politiques du pays” et qui souligne que “les premières déclarations du président montrent une disposition au dialogue”. Le quotidien El Comercio déplore de son côté “l’état de paralysie” dans lequel se trouve actuellement la Bolivie voisine du fait du comportement de son Assemblée constituante et rappelle aux représentants équatoriens élus qu’ils ont “un mandat éthique élémentaire”. “Cette Assemblée constituante élue par le peuple, souligne El Comercio, doit accepter deux principes fondamentaux : elle n’est pas née des excès d’une dictature et elle doit profiter de l’opportunité historique de réaliser des changements institutionnels qui corrigent le fait que l’Equateur est internationalement considéré comme l’une des nations les plus instables de la planète.” Grâce à cette nouvelle Assemblée, Rafael Correa a désormais les mains libres pour dissoudre le Congrès, actuellement dominé par la droite, et mettre en marche le “changement économique” qu’il avait annoncé au lendemain de son élection.

Connaissez-vous le cinéma équatorien ?

26 sept. 2007


ESPAGNE


Un petit film équatorien fait mieux à Madrid et à Barcelone que les grosses productions françaises et américaines. Un succès inattendu qui repose sur une communauté équatorienne forte de 700 000 personnes.


Tandis que les professionnels du cinéma espagnol ont les yeux rivés sur le festival de Saint-Sébastien [du 20 au 29 septembre], des milliers d'Equatoriens — sur les quelque 700 000 qui vivent en Espagne — prennent les salles d'assaut pour aller voir en famille un film tourné dans leur pays et mis en scène par une compatriote. "Une véritable invasion", assure Enrique Pérez, propriétaire des cinémas Verdi qui ont projeté le film à Madrid et à Barcelone. "Il a fallu le programmer dans une salle plus grande, parce que des gens restaient à l'extérieur. Résultat, Qué tan lejos [Pas si loin] est devenu le numéro 1 des recettes dans les cinémas Renoir et Verdi, supplantant Dialogue avec mon jardinier, de Jean Becker, ainsi que les deux films qui étaient censés cartonner au box-office ce mois-ci : En la ciudad de Sylvia, de José Luis Guerín, et Caótica Ana, de Julio Medem.



Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 5 000 spectateurs pour seulement 11 copies dans toute l'Espagne. Pas moins de 1 558 spectateurs ont vu le film dans les Verdi de Madrid pendant le week-end, contre 900 pour Dialogue avec mon jardinier dans les mêmes cinémas. Même chose aux Renoir de la place d'Espagne à Madrid : il a fait 1 100 entrées contre 627 pour Caótica Ana. "Personne ne s'attendait à un tel phénomène", se réjouit une porte-parole d'Alta Films, propriétaire des cinémas Renoir, qui a produit et distribué le film. "Notre campagne de lancement y est sans doute aussi pour quelque chose". Rafa, un Equatorien de 27 ans, aide-magasinier, qui vit en Espagne depuis onze ans, a vu la publicité dans le gratuit 20 minutes. Il sortait hier [lundi 24 septembre] de la séance de 18 h 15 avec des compatriotes et d'autres spectateurs espagnols. "Ça m'a plu, ça montre bien ce qu'est l'Equateur, avec tous ses visages : le fils de bonne famille, le pauvre, le routard… On est loin des clichés d'ici ou de là-bas, c'est un film très drôle", commente-il. Il est accompagné de sa petite amie, Leticia, 25 ans, qui vit depuis six ans en Espagne et travaille comme caissière. "Ça nous montre tel qu'on est", dit-elle. "C'est l'Equateur à l'état pur", explique Mercedes Sánchez, porte-parole de la Fédération des associations équatoriennes en Espagne (FENADEE). "Ce n'est pas le genre de film qui traite le thème de l'immigration d'un point de vue misérabiliste.



Dans ce film, au contraire, la cinéaste montre l'attitude ironique avec laquelle nous affrontons les problèmes de la vie, notre sens de l'humour. C'est un regard original et réaliste sur une question qui regarde beaucoup d'entre nous, Equatoriens d'Espagne". Qué tan lejos dépeint un Equateur vidé par l'émigration. Et peut-être beaucoup de ces immigrés ont-ils vu, au travers du regard de la réalisatrice Tania Hermida, ce qu'ils ont laissé là-bas. Sur le mode du road movie, comme s'il s'agissait d'un Thelma et Louise équatorien, la jeune réalisatrice met en scène la réalité complexe d'un pays qui a récemment changé trois fois de président en deux ans, où les villages subissent de véritables saignées qui les privent de leurs forces vives, où les jeunes s'en vont en confiant les enfants à leurs grands-parents. Tania Hermida épingle au passage l'ignorance des Espagnols qui ne savent vraiment rien de l'Equateur, à part le nom de quelques-uns de ses volcans. Voilà un film où, comme par hasard, la protagoniste espagnole s'appelle Esperanza [Espérance] et l'équatorienne, Tristeza [Tristesse]. Un film qui se termine comme il a commencé. Peut-être parce que, comme dit l'un des personnages, "les fins heureuses dépendent d'où on met le point final".


Patricia Ortega Dolz El País

Montée des tensions avec la Colombie

hebdo n° 862 - 10 mai 2007

ÉQUATEUR
Face aux incursions de la guérilla colombienne et à la politique d’éradication des cultures de coca menée par le gouvernement colombien, les autorités équatoriennes se mobilisent. Reportage.


De Quito A la frontière nord de l’Equateur, avec la Colombie, sur une frange de 640 kilomètres de forêt inhospitalière et suffocante, la situation est chaque jour un peu plus tendue. C’est par cette région que transitent les produits nécessaires au traitement et à la fabrication de la cocaïne. Les groupes armés et les narcotrafiquants colombiens y sont nombreux, car ils ont pris l’habitude de passer en territoire équatorien pour se ravitailler ou pour échapper à la justice de leur pays. C’est aussi dans cette zone que le gouvernement colombien pratique les épandages aériens de glyphosate [un puissant herbicide] en vue d’éradiquer les champs de coca. Leur impact sur la santé des habitants et l’écosystème est sans doute désastreux. [Ces épandages sont à l’origine de plusieurs incidents diplomatiques, Quito affirmant, rapports à l’appui, qu’ils sont nocifs, contrairement à ce qu’affirme Bogotá. Ils ont été suspendus en décembre 2005, puis rétablis en avril 2006 et de nouveau suspendus.]


Le gouvernement équatorien, qui veut faire respecter sa souveraineté, ne lésine pas sur les moyens. Les patrouilles permanentes de l’armée équatorienne dans cette région de la forêt amazonienne, la province de Sucumbíos, ont progressivement permis de démanteler un grand nombre de campements des narcotrafiquants et de la guérilla et de détruire des laboratoires de cocaïne, parfois très sophistiqués. “Nous faisons tout notre possible pour faire respecter notre frontière. Mais la forêt est très perméable et toutes sortes d’activités illégales y sont pratiquées”, explique le général Jorge Peña, commandant de la quatrième division de l’armée de l’Amazone. Notre équipe l’a suivi dans son travail, survolant la zone en hélicoptère et supervisant le travail au sol. Etant donné la proximité du danger, le gilet pare-balles était de rigueur. A l’intérieur d’une tente rapiécée sont exposés des fusils, des bombes artisanales, des grenades, des cartes et de faux uniformes militaires arborant sur les manches le portrait de Che Guevara et le drapeau colombien. “Ce sont des armes et des munitions saisies ce matin, lors de la capture de huit Colombiens et d’un Equatorien soupçonnés d’être des militants des FARC. L’un d’entre eux, le commandant Richard, s’est rendu sans opposer de résistance”, explique le général Peña. “C’est un coup dur pour eux. Dans ce genre de cas, nous devons prendre des mesures de sécurité très importantes”, souligne le major Jorge Villalba, chef des relations publiques de la force terrestre. Selon ce dernier, il y a peu d’affrontements armés à la frontière nord de l’Equateur. “J’espère que nous n’aurons jamais à utiliser les armes pour repousser cette menace. Chaque mort est une perte pour l’humanité”, lâche-t-il.


Le conflit prend chaque jour un peu plus d’ampleur Mais cette tension latente affecte la population civile, qui vit dans une angoisse perpétuelle. Sur les rives du río San Miguel, frontière naturelle entre les deux pays, nous rencontrons un jeune homme de 28 ans d’origine colombienne, vivant dans une misérable cabane de bois avec ses deux enfants nés en Equateur. Il évite notre regard et refuse d’aborder le sujet, par peur des représailles. “Vous, les journalistes, une fois que vous avez vos informations, vous pouvez partir, mais nous, les paysans, on reste dans cet enfer. Ces gens n’ont aucune pitié, même pas pour les plus faibles. Qui sait s’ils ne vont pas m’accuser de l’arrestation de ce commandant Richard ? lance-t-il. — Mais c’est une information confidentielle, comment le savez-vous ? demande une journaliste. — Moi, je ne sais rien. Laissez-moi tranquille”, répond-il brusquement en s’éloignant avec ses enfants.


On soupçonne une partie de ces habitants de collaborer – de leur plein gré ou non – avec les FARC. Le conflit entre les deux pays prend chaque jour un peu plus d’ampleur, en dépit du fait que l’Equateur, par solidarité avec la Colombie, a accueilli plus d’un demi-million de réfugiés, pour la plupart sans papiers. “Nous sommes au cœur d’un problème qui ne nous concerne pas, c’est vraiment injuste”, déplore Rosa María, une vieille femme équatorienne. L’“importation” de ce problème colombien l’a obligée à quitter son village natal, situé près de la frontière. “Cette région était ma terre natale, et je pouvais me déplacer librement, d’un point à un autre, de jour comme de nuit, avec ma famille. Aujourd’hui, cette terre n’appartient plus à personne. On ne sait jamais de quoi demain sera fait.” La population ne voit pas l’intérêt de tant de traités et de conventions si elle continue de souffrir chaque jour du manque de réponse à ses problèmes. Son inquiétude est à son comble depuis qu’elle en ressent les effets dans sa chair. Les épandages aériens de glyphosate sur les populations frontalières équatoriennes, qui devaient avoir lieu à une distance minimale de 10 kilomètres de la frontière commune, sont probablement nocifs pour la santé. “Mes enfants et mon épouse ont eu des taches sur la peau, ils ont contracté des grippes et d’autres maladies inexplicables”, signale Manuel Chinga, 45 ans. “Certaines femmes ont même fait des fausses couches. Car, même si les épandages durent peu de temps, ils sont fréquents. Des enfants sont nés avec des malformations et même les petits animaux ont été touchés.” La reprise des épandages a entraîné un incident diplomatique. Ils ont à nouveau été suspendus dans l’attente du verdict des commissions scientifiques des deux pays.


Daniela Creamer El Mundo

Le représentant de la Banque mondiale indésirable en Equateur

27 avr. 2007

HOY

Le président équatorien, Rafael Correa (socialiste), a expulsé le représentant de la Banque mondiale (BM) dans le pays, Eduardo Somensatto. Correa accuse la BM de chantage : en 2005, alors qu'il était ministre de l'Economie, elle aurait suspendu un prêt de 100 millions de dollars, en représailles contre les réformes menées par l'Equateur dans le secteur pétrolier. "Nous ne sommes la colonie de personne", a déclaré Correa à la radio.

L'Equateur face à l'arrivée massive de réfugiés colombiens

25 avr. 2007

HOY

Le président équatorien, Rafael Correa, a annoncé, le 24 avril, qu'il avait reçu le soutien de l'ONU, du Canada et de la Corée du Sud pour lancer un Plan Equateur. Objectif : atténuer l'impact économique de l'arrivée massive de réfugiés colombiens fuyant les violences de leur pays. Ils seraient près de 20 000 en Equateur, qui compte 13,5 millions d'habitants. Le quotidien de Quito se réjouit que ce plan ait une dimension sociale, et pas seulement militaire.

Le triomphe du oui

16 avr. 2007

ÉQUATEUR

Le président Rafael Correa (socialiste) renforce son pouvoir après la large victoire du oui au référendum qui a eu lieu le dimanche 15 avril. Les Equatoriens ont, comme il le leur demandait, accepté la convocation d'une Assemblée constituante.


Le triomphe du oui [avec 78,1 % des suffrages, contre 11,5 % de non selon un sondage sortie des urnes] lors de la consultation populaire du 15 avril ne laisse aucun doute quant au choix des Equatoriens : ils veulent qu'une Assemblée constituante puisse porter la volonté de changement du pays. [Celle-ci, composée de 130 représentants, siégera pendant un an.] Aujourd'hui, toute la question est de savoir si le président de la République [élu en novembre dernier et qui ne dispose d'aucun député au Congrès] sera à même d'arbitrer entre toutes les composantes politiques de la société ou s'il se contentera de considérer le résultat de dimanche comme une victoire exclusivement personnelle. Certains avaient annoncé que si le oui l'emportait très largement, comme ç'a été effectivement le cas hier, cela donnerait trop de pouvoir à un président qui, en trois mois, s'est montré peu respectueux de l'opposition et du cadre institutionnel. Avec 78 % des voix en faveur du oui, ces craintes sont plus que jamais de mise.


Mais un tel résultat doit aussi amener l'opposition [de droite] à redéfinir ses stratégies face à la réalité du pays. Il ne suffit pas de semer la peur pour freiner un projet politique qui est le dépositaire des aspirations au changement. L'opposition s'est contentée de remettre en cause un style politique dans ses aspects les plus autoritaires, sans proposer de solutions aux blocages que connaît le pays. Etant donné l'immobilisme de l'opposition, son manque de clarté face à ce qui se passe, la majorité de nos concitoyens s'est prononcée pour le oui, même si elle ne mesure pas bien la portée de son choix. Le président Correa a raison de dire qu'il incarne une rupture vis-à-vis de la classe politique traditionnelle. En effet, son gouvernement a inauguré une nouvelle forme de gestion politique. On ne peut pas le combattre avec les tactiques de l'opposition classique. Le résultat de dimanche montre que ses adversaires se sont fourvoyés. Correa est imperméable aux critiques relevant du jeu politique traditionnel : il a lui-même fait entrer la politique dans une autre époque, une autre dimension.

Hoy

Les Indiens aussi jouent au foot

hebdo n° 849 - 8 févr. 2007

A 3 830 MÈTRES AU-DESSUS DE LA MER
En Equateur, les villages de la cordillère n’ont souvent accès ni à l’eau ni à l’électricité. On y trouve parfois une école, mais plus sûrement un terrain de foot où les Indiens jouent le dimanche, après la messe.

Marco tourne à droite et klaxonne. Ce n’était pas la peine car les enfants arrivent déjà en dévalant la pente. Ils ont de grands yeux marron, des cheveux noirs, des joues rouges et sales, ils portent des bottes en caoutchouc. Un champ, situé à l’ouest de la cordillère, brille, doré, sous la lumière du soleil. Le vent, poursuivant son chemin, hurle. On n’aperçoit pas un seul poteau électrique. Les montagnes se succèdent à perte de vue. Le ciel est rempli de vautours. Il existe ici autant d’espèces de charognards qu’il y a de sortes de neige dans certains pays. Au loin, un mont surplombé par un gigantesque nuage de fumée sombre qui s’élève lentement dans le ciel semble atteindre la perfection. C’est un volcan et il sera bientôt en éruption. Les Indiens attendent impatiemment qu’il explose. La nuit, la montagne gronde ; le jour aussi probablement, mais on n’entend rien – à cause des conversations, des voitures, des bruits de la vie.

Nous sommes en Equateur, à 3 500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Pour un Européen, l’oxygène de l’air y est nettement insuffisant. C’est à se demander comment l’alpiniste Reinhold Messner a réussi à gravir le mont Everest, à 8 800 mètres d’altitude, sans bouteilles d’oxygène. Nous descendons de la voiture quelques instants et, tant que nous marchons, nous ne remarquons pas tellement le manque d’oxygène. Mais, dès que nous nous arrêtons, nous sommes à bout de souffle. Le chemin à parcourir pour regagner la voiture semble long. Nous nous laissons tomber sur les sièges en soufflant. Nous n’arrivons plus à nous concentrer, nos pensées partent dans tous les sens. Le moindre geste demande bien plus d’efforts que d’habitude, et, en même temps, les choses semblent tellement plus faciles. Nous sommes épuisés. Nous restons un moment assis dans la voiture à rire. Notre chauffeur, Marco, vit à Quito, à 2 800 mètres d’altitude. Il attend stoïquement, en silence, la fin de notre fou rire. Ce n’est pas la première fois qu’il conduit des visiteurs dans la région. Il a l’habitude. Mais des gens qui veulent monter jusqu’ici pour voir les Indiens jouer au foot, ça, il n’en a jamais vu.

Les Indiens aiment jouer au foot, même s’ils ne sont pas très bons. Ils jouent surtout le dimanche, après la messe, s’il ne pleut pas. Aujourd’hui, c’est dimanche. La messe est finie. Rosa se tient avec d’autres enfants au bord de la route. Elle a 11 ans. Pendant la semaine, après l’école, elle doit s’occuper de deux ânes et d’un mouton. Elle descend chercher de l’eau là-bas. Elle nous indique du doigt la direction. C’est loin, là-bas ? Un bon bout de chemin. Et l’école ? Là-bas derrière. De l’autre côté. Et elle est loin ? Heu, un peu aussi… Les écoliers de la commune de Maca-Grande apprennent deux langues : le quechua, la langue des Indiens, et l’espagnol, la langue officielle de l’Equateur. Julián Coloquinga, le père de Rosa, a 55 ans. Il a six enfants : deux garçons et quatre filles. María, qui a 18 ans, vient de se marier. Elle se cache derrière son foulard. Mais on peut voir ses oreilles rougir lorsqu’elle entend prononcer son nom. Julián Coloquinga cultive des pommes de terre, des oignons, des fèves et du seigle. Des 40 sacs de pommes de terre qu’il a récoltés, il en vend 35 et en garde 5 pour sa famille. Le plat des pauvres, c’est papas y papas, des patates avec des patates. Et les Coloquinga sont pauvres. Ils élèvent des moutons et des poules. María a aussi deux poussins. L’épouse de Julián apporte la récolte au marché de Pujili, une ville de quelque 2 000 habitants, ou à Zumbahua, ou encore à Latacunga. Elle y va à pied ? Bien sûr. Tu as vu une voiture quelque part ?

Aujourd’hui, c’est dimanche. Et que fait Julián Coloquinga le dimanche, pendant que sa femme est au marché ? Dans sa hutte, il n’y a ni radio, ni télé, ni livres, ni journaux. Non, ici, il n’y a pas de journaux. Ce n’est pas forcément lire qui poserait problème. Mais qui les apporterait ? On en trouve sur le marché de Pujili, mais ça n’intéresse pas Julián. Le dimanche, il se repose, explique-t-il. Il reste allongé dans sa hutte. Il boit un petit verre d’alcool de canne à sucre qu’il conserve dans un bidon bleu. Et les enfants, que font-ils ? Je ne sais pas. Est-ce que nous souhaitons voir l’intérieur de sa hutte ? Bien sûr. Nous entrons et regardons : on ne voit rien. L’obscurité n’est pas du tout la même que dans l’ouest de l’Europe. Elle est totale. Pas la moindre lumière de voiture, pas un lampadaire, pas un néon publicitaire. Rien, juste la nuit, même le jour. L’obscurité de cette hutte, construite il y a quinze ans, n’avait encore jamais été troublée. Jusqu’à ce que le photographe arrive avec sa lampe. Les Indiens et leurs hôtes regardent autour d’eux, intéressés. Elle ressemble donc à ça, cette hutte. Julián reste de marbre ; c’est sans doute exactement ainsi qu’il se l’imaginait. Le photographe éteint. Je me souviens seulement de la paille et des couvertures, et d’une odeur rance, comme si les personnes qui vivaient là se frottaient avec de la graisse – ou en utilisaient pour leurs cheveux, par exemple. Il y a également une forte odeur animale. Dix cobayes se baladent dans la hutte, les autres sont morts. Ici, et en particulier parmi les Indiens, les cobayes constituent un mets délicat : de la viande blanche, un peu comme celle de la volaille, mais avec des os. Ça sent aussi un peu le chien et le chat : dix chiens vivent ici. Des marmites et des poêles noires sont accrochées au mur. Le fond de l’une des poêles est recouvert d’une couche de graisse.

Lorsque la cuisinière à gaz est allumée, l’épouse de Julián voit un peu mieux ce qu’elle est en train de faire. Ses parents aussi ont habité ici. Et avant ? Elle ne répond pas. María s’est mariée parce qu’elle est tombée enceinte. Le père, Baltazar, est l’un des fils des voisins. Les oreilles de María deviennent écarlates lorsque le sujet est abordé. Les voisins, cela veut juste dire que l’on peut voir leur maison d’ici. María et Baltazar vont ensemble à l’école, il faut marcher longtemps pour y parvenir, deux bonnes heures. Ils sont à l’école de 8 heures à 17 heures. María doit donc se lever à 4 heures. Nous parlons à peine de Baltazar. Mais le voici qui arrive : il a les mains dans les poches et porte une veste épaisse. Son chapeau de velours, incliné sur la tête, lui donne un air effronté. Non, ils ne peuvent pas prendre le bus pour aller à l’école. Le trajet coûte trop cher, l’équivalent de 30 centimes d’euro. La population de l’Equateur est pauvre, surtout les Noirs et les Indiens. Sur les 4, 5 millions d’Indiens que compte le pays, 1,5 million vivent dans les montagnes, les autres dans les bidonvilles qui entourent la capitale, Quito, et Guayaquil. Ce sont les Incas qui sont venus les premiers. Ils ont tout détruit et ont assassiné les Indiens qui peuplaient alors le pays. Peu après sont arrivés les Espagnols. Ils ont aussi tout saccagé et ont assassiné les Incas. Depuis cette époque, les Indiens forment les couches les plus pauvres de la société équatorienne. Ceux qui vivent dans la forêt pluviale sont menacés par la surexploitation du bois, ceux qui vivent dans la forêt primaire par les activités d’exploitation pétrolière que mènent les Etats-Unis. Dans ces régions, des enfants naissent handicapés parce que les Etats-Unis ne respectent pas les clauses des contrats sur la protection de l’environnement. Les Indiens de la forêt pluviale sont tellement révoltés qu’il y a quelques semaines ils ont assassiné deux gringos [nom péjoratif donné aux Américains dans tout le continent latino-américain] qui coupaient des arbres. Ils les ont tués comme l’auraient fait leurs ancêtres, avec des flèches empoisonnées.

Pour devenir riches, les Noirs ont le foot. On ne voit pratiquement jamais de médecins, d’avocats, d’enseignants ou de professeurs d’université noirs. Mais les Indiens, eux, n’ont même pas le foot. Huit ou neuf personnes vivent dans la hutte de Julián Coloquinga. Deux fois par mois, la famille descend laver son linge à la fontaine. Mais il faut faire attention : il fait froid dans les montagnes, et mieux vaut sentir mauvais qu’attraper une bronchite. Baltazar veut terminer l’école pour s’inscrire ensuite à l’université. Plus tard, il souhaite faire de la politique. Comme tout le monde ici, il n’a jamais entendu parler de la Coupe du monde de football qui a eu lieu en Allemagne au début de l’été 2006. Il connaît en revanche Hugo Chávez, le président du Venezuela, qui a promis de lutter contre la pauvreté des Vénézuéliens et des Indiens. “Ici aussi, il faudrait faire quelque chose pour les pauvres, nous explique Baltazar. Nous sommes très pauvres. Nous n’avons pas d’école près du village, pas d’eau et pas d’électricité.” La montre-bracelet que porte María est un cadeau de mariage. Quand l’enfant naîtra, ils iront chercher la sage-femme. Et quand doit-il naître ? María, cachée derrière son foulard, émet un rire. Elle n’en a pas la moindre idée.

Baltazar répond d’un signe de tête : oui, il joue au foot. Tous les garçons jouent au foot. Juste pour le plaisir, sur le terrain, là-bas. Il faut traverser la vallée et remonter sur l’autre versant. A Zumbahua, le village situé là-bas derrière, en suivant la route, ils jouent aussi au foot. Et le dimanche, justement. Il est loin ce village ? Ben, ce n’est pas juste à côté, répond Baltazar. Nous démarrons. Une tache blanche apparaît sur le bord de la route. Marco freine. C’est Herman. Il a 14 ans et porte le maillot de l’équipe d’Allemagne. Beau maillot, lui dis-je. Il sourit. Je lui demande s’il sait à quelle équipe appartient ce maillot. “Aucune idée. —L’équipe d’Allemagne, fais-je. — Connais pas !” réplique Herman, qui nous regarde à présent, l’air interrogateur. C’est sa mère qui lui a rapporté le maillot du marché de Pujili. Il y a quelqu’un qui en vend. La Coupe du monde ? “Jamais entendu parler.” Tu joues au foot ? “Bien sûr, tout le monde y joue”, nous lance-t-il. Herman monte dans la voiture. Il nous guide jusqu’à un plateau, situé peu avant Zumbahua, où une vingtaine de garçons jouent au foot. Le sol est marqué de crevasses si profondes qu’on n’en voit pas le fond. Les garçons doivent faire attention à ce que le ballon ne disparaisse pas dans l’un de ces trous. A gauche, le terrain est délimité par la route et, à droite, par une corniche surplombant un vide vertigineux. Là aussi, les garçons doivent faire attention, sinon, c’est eux qui risquent de disparaître. Il vaut mieux jouer de l’autre côté. “Les meilleurs joueurs du coin sont à Quiroga”, nous explique Herman. Nous partons pour Quiroga, un village de 1 400 habitants, soit 200 familles, perché à 3 830 mètres d’altitude. Il doit son nom au martyr et héros de l’indépendance don Manuel Quiroga, qui mourut dans un cachot à Quito. Le village se trouve à proximité du lac de Cuicocha, “cochon d’Inde” en quechua. Cette étendue d’eau étincelante et féerique est située dans le cratère d’un ancien volcan. Quiroga est perdu dans un brouillard dense et blanc. Aucun goût, aucune odeur. Le brouillard s’élève dans le ciel pour former des nuages. On en oublierait presque qu’au-dessus le ciel est bleu. Au milieu du village, le terrain de foot : du sable parsemé de quelques touffes d’herbe. Les habitants du village, un chapeau sur la tête et aux pieds de lourdes chaussures vraiment peu adaptées, tapent dans un ballon de cuir élimé. C’est toujours le plus petit joueur qu’ils mettent dans les buts. D’un point de vue tactique, ce choix n’est pas très judicieux. Mais, ici, ce n’est pas la tactique qui compte. Ils courent tous derrière le ballon en criant. Les enfants, les adultes, les bons joueurs et les mauvais.

Chaque dimanche, à défaut d’autre passe-temps, les Indiens de la cordillère jouent au foot. Agustín Vega aussi. A 26 ans, il peint des tableaux naïfs qu’il va vendre aux touristes au bord du lac de Cuicocha : de petits formats aux couleurs contrastées, représentant des femmes avec des robes aux couleurs vives, des moutons blancs, des nuages tout aussi blancs, et un ciel bleu. “Ne vous attendez pas à un grand match. Nous ne sommes pas bons.” Tout à coup, le ciel se déchire. Brouillard et nuages déversent des torrents d’eau. Nous courons nous abriter dans l’école. La pluie tambourine sur le toit de Plexiglas vert. Des vitres cassées, de vieux bancs. “Quand il commence à pleuvoir, nous arrêtons le jeu”, explique Agustín. Oui, on comprend. Nous regardons dehors par l’une des fenêtres cassées. Nous percevons le parfum enivrant, lourd et sucré des fleurs. Nous regardons en bas, dans la vallée. “Là-bas, il ne pleut pas”, dit Agustín. Miguel Angel Dacomée, qui vient de jouer avec les autres, nous dit que “les Indiens sont tout en bas de l’échelle sociale équatorienne”. Et le foot n’y changera rien. “Nous avons besoin d’être formés, dit-il. Nous ne jouons pas bien. Nous n’avons aucun don pour le football, contrairement aux Noirs. Nous jouons seulement pour le plaisir.” Sur le terrain de Quiroga, on trouve aussi un filet de volley-ball et deux paniers de basket. Les Indiens tapent dans le ballon de foot avec une batte et l’envoient au-dessus du filet ; ils marquent un panier avec une balle de volley. Ils aiment le sport. Le terrain appartient à la commune. La pluie, à personne. “L’averse ne va pas durer. La pluie ne fait que cesser et recommencer”, dit Miguel. C’est vrai, la pluie finit toujours par s’arrêter. Le brouillard et les nuages, en revanche, restent suspendus au-dessus de Quiroga, lourds et sombres. Le terrain est inondé. “On laisse tomber, ça ne vaut plus la peine”, dit José Pastuña. Nous restons donc à l’intérieur de l’école à parler football. Miguel Angel Dacomée connaît les deux grands clubs de son pays, Nacional et LIGA, et José Pastuña, les meilleurs joueurs : Méndez, Salas, Lara.

Roger Repplinger Rund

Rafael Correa s’offre un couronnement rituel

hebdo n° 846 - 18 janv. 2007

ÉQUATEUR


Le nouveau président a reçu son bâton de chef des mains des chamans quechuas avant son investiture officielle. Une cérémonie à laquelle ont assisté ses homologues Evo Morales et Hugo Chávez.


Elle ne sait pas qui est Hugo Chávez. Le nom d’Evo Morales n’évoque rien non plus pour elle, et c’est bien normal. A l’instar de tous les habitants de Santa Cruz de Zumbahua, un village perdu dans les Andes, à plus de 3 800 mètres d’altitude, cette Indienne de 55 ans s’est rendue [le 14 janvier] sur la place du village pour assister à la cérémonie. “Mon fils m’a dit que de grandes personnalités allaient venir couronner Correa. Je voulais voir ça”, explique María Celedonia Pascuashi, en poncho multicolore et jupe de velours, coiffée du chapeau typique des Quechuas. Elle s’est placée face à l’estrade où le président élu, Rafael Correa, doit être investi suivant le rite indien. L’investiture de Zumbahua n’est que symbolique. Le “couronnement” officiel a eu lieu le lendemain à Quito, à deux heures de Zumbahua. Mais le nouveau dirigeant a voulu rendre hommage à la communauté où il a fait du bénévolat pendant un an, et ce longtemps avant de remporter les élections du 26 novembre, avec 56 % des voix. Il a invité le président du Venezuela, Hugo Chávez, et son homologue bolivien, Evo Morales.


Pour vivre l’événement en direct, 4 000 personnes se sont déplacées vers ce village pauvre, entouré de montagnes impressionnantes et de pâturages verts. Ici, pas d’eau potable, encore moins de téléphones ou de télévisions. Mais tout cela n’a pas empêché les rues non goudronnées de Zumbahua de se remplir, dès 6 heures du matin, de curieux venus de tous les coins du pays. Mario Salasaca, originaire d’Otavalo, une autre localité indienne située au nord, était présent. “Je voulais souhaiter la bienvenue au frère Chávez. Ce n’est pas tous les jours qu’il vient”, dit-il, transi de froid, un paquet de chips à la main. Le président est arrivé à Zumbahua vers 10 h 30, à bord d’un hélicoptère, une demi-heure avant Morales et Chávez. Il a été accueilli par d’énormes pancartes de bienvenue (“L’heure des pauvres a sonné”, “Oui à l’Assemblée constituante”) et de ferventes clameurs, en véritable héros. Il était vêtu d’un pantalon noir et d’une chemise blanche. Il a retrouvé avec émotion sa femme, la Belge Anne Malherbe, et ses trois enfants, qui l’attendaient sur l’estrade.


Quelques instants plus tard, les chamans ont entrepris la limpia [rite de purification] pour qu’il soit libéré de ses mauvaises énergies et qu’il entame la présidence du bon pied. Ensuite, ce natif de Guayaquil a évoqué les bons moments qu’il a passés à Zumbahua quand il était jeune. Il a laissé ici le souvenir d’un jeune homme au physique agréable, et surtout très travailleur. “C’était un garçon sérieux, il aimait travailler au moulin”, confirme María Blegui, une femme à l’air affable qui a été son enseignante. C’est elle qui lui a appris le quechua, ce qui lui a permis de faire le plein de voix indiennes aux élections. Tandis que Mme Blegui disait ces mots, les six chamans, ou yacchas, ont fait cercle autour de Correa pour le libérer des mauvais esprits. Ils ont d’abord invoqué Taita Inti (Père Soleil), puis Pachamama (Terre Mère), les forces de la nature. A l’aide de feuilles de mauve, d’eucalyptus et d’ortie, ils ont frotté énergiquement le corps du président, tandis que la foule hurlait : “Correa président !” ou “Vive l’Equateur !” La brume des premières heures de la journée a laissé place à un soleil accablant, qui a même provoqué quelques évanouissements.


L’étape suivante fut l’arrivée de Chávez et de Morales. Tandis que Correa restait au centre de la place, le Vénézuélien a surgi du coin d’une rue. Toutes les caméras se sont tournées vers lui. Et la foule a lancé : “Vive Chávez !” Vêtu de rouge et de noir, le président du Venezuela a salué le peuple et s’est placé à la droite de Correa. A sa gauche, plus discret, on a vu Morales, sans son fameux pull rayé, qu’il avait troqué contre un gilet noir. Peu après, un prêtre a dit une messe en quechua. Correa a écouté les bras croisés, impassible. Chávez ne cessait de saluer la foule. Il y avait des gens perchés sur les voitures, les autobus, les terrasses et même les toits. Les enfants des écoles ont entonné l’hymne national, toujours en quechua. Après quoi, le nouveau président a reçu le bâton de commandement, symbole du guide dans la tradition indienne. Les trois présidents ont ensuite reçu chacun un poncho rayé des mains de la reine du village, car, suivant la tradition, c’est à la femme de préparer les vêtements de l’homme. Morales a ensuite pris la parole, l’occasion pour lui de saluer ses “camarades” et de réclamer la fin de l’impérialisme. Puis Chávez a fait de même, regrettant au passage l’absence de son ami Fidel Castro.


Isabel García El Mundo

La coca, pierre d'achoppement entre Bogotá et Quito

27 déc. 2006

AMÉRIQUE LATINE
La destruction de champs de coca à la frontière des deux pays empoisonne les relations entre la Colombie d'Alvaro Uribe et l'Equateur de Rafael Correa. Bogotá affirme que la guérilla marxiste des FARC se finance grâce à ces cultures là où Quito craint des dommages graves aux populations et à l'environnement. Derrière la façade, une opposition entre pro-Etats-Unis et pro-Venezuela se perçoit.

Pour le futur chef de l'Etat équatorien, Rafael Correa, cité par El Tiempo, les destructions de cultures illégales de coca en Colombie par épandage d'herbicides sont un "acte hostile" de la part du gouvernement colombien. Le président nouvellement élu de l'Equateur, qui sera investi le 15 janvier prochain, est plongé dans une crise diplomatique avec la Colombie du président Alvaro Uribe et a annulé jeudi 21 décembre une visite à Bogotá. En effet, poursuit le journal colombien, après la reprise des destructions de champs de coca dans une zone frontalière avec l'Equateur, le 11 décembre, Quito a réagi en rappelant son ambassadeur. Le futur président Correa estime que l'utilisation d'herbicides cause des dégâts à l'environnement et aux populations. "C'est le territoire colombien qui est aspergé. Cela n'affecte pas l'Equateur, à moins que Correa craigne que ces cultures ne se déplacent sur son propre territoire, comme ce fut le cas dans les années 1990, quand les champs de coca furent détruits en Bolivie et au Pérou", note un éditorialiste d'El Tiempo. Qui considère par ailleurs comme "inouïe et absurde l'ingérence du président élu de l'Equateur dans un thème de politique intérieure qui ne concerne que le gouvernement colombien". Dans son éditorial, son confrère équatorien El Universo critique, lui, la politique colombienne de destruction des cultures, jugée peu efficace et surtout néfaste. Le journal s'en prend directement à la politique antiterroriste proaméricaine du président Uribe, qui lutte contre la guérilla marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), mais a passé avec les mouvements paramilitaires d'extrême droite des accords jugés douteux par de nombreuses organisations de défense des droits de l'homme. "Ce qui est sûr, c'est que les groupes paramilitaires colombiens avec qui Uribe a négocié sont sur le point de passer à nouveau à l'action et que la guérilla de gauche, avec laquelle Uribe ne négocie pas, demeure active car sa direction militaire est intacte", note El Universo. "Il est facile de se présenter comme un grand combattant antidrogue et d'essayer d'en tirer un crédit politique quitte à atteindre des innocents et à accroître les tensions dans les pays voisins, mais il est plus difficile d'obtenir des résultats réels qui bénéficient à la région." El Comercio, autre journal équatorien, observe pour sa part la radicalisation des positions de Quito et de Bogotá. Une tendance d'autant plus nette que 17 militaires colombiens sont morts lors d'une offensive des FARC, qui seraient financées par la culture de la coca, selon le président colombien. Par ailleurs, le chef de la police colombienne, le général Jorge Daniel Castro, a annoncé le 25 décembre la découverte de 10 à 15 hectares de champs de coca en Equateur, dans une zone frontalière de la Colombie. Pour les autorités équatoriennes, cette dernière déclaration n'a pour objectif que de "nuire à l'Equateur", rapporte El Comercio. Reste que la crise diplomatique entre Quito et Bogotá est alimentée également par les alliances à l'échelle du continent et les rapports avec les Etats-Unis. Si le président Uribe est le meilleur allié de Washington dans la région, Rafael Correa est un "imitateur" du président vénézuélien Hugo Chávez, d'après le quotidien madrilène El País, à l'instar du président bolivien Evo Morales. De ce point de vue, il est significatif que c'est lors de sa rencontre avec Hugo Chávez à Caracas, le 15 décembre dernier, que Rafael Correa a annoncé le rappel de son ambassadeur à Bogotá.

Philippe Randrianarimanana

Rafael Correa, la victoire avec modestie

hebdo n° 839 - 30 nov. 2006

ÉQUATEUR
En élisant le candidat de gauche au second tour de la présidentielle, le 26 novembre, les classes moyennes et les petits producteurs de banane ont surtout voulu barrer la route au milliardaire populiste Alvaro Noboa.


Dans le discours qui a suivi l’annonce de sa victoire au second tour de la présidentielle, le 26 novembre, Rafael Correa s’est montré conciliant, évitant toute attitude triomphaliste et revancharde. Après une campagne très agressive, cet économiste de 43 ans a cherché à dissiper quelques malentendus. Il a réaffirmé que le dollar resterait la monnaie du pays [l’Equateur a abandonné sa monnaie nationale, le sucre, en 2000] et invité tous ceux qui avaient les mains propres et la conscience nette à rejoindre son gouvernement. “Il n’y a pas de vainqueurs ni de vaincus parmi les citoyens, puisque c’est un projet citoyen qui a triomphé”, a-t-il affirmé, avant de retrouver ses militants dans son QG de campagne, dans le nord de Quito. Toute l’équipe d’Alianza País, son parti, a cherché à faire preuve de modération et évité de répondre aux déclarations d’Alvaro Noboa [le candidat de la droite et magnat de la banane]. “Je vais compter les bulletins un par un pour son bien [celui de Correa], le mien et celui du pays, et faire cesser ces mensonges”, a averti ce dernier, refusant d’admettre sa défaite.


A la surprise générale, le futur président [il prendra ses fonctions le 15 janvier 2007] a annoncé lors de son discours la composition d’une partie de son gouvernement : son chef de campagne, Gustavo Larrea, un dirigeant de gauche spécialiste des droits de l’homme, sera ministre de l’Intérieur. Le portefeuille de l’Energie sera confié à Alberto Acosta, un farouche opposant à la dollarisation, et celui de l’Economie à Ricardo Patiño, ancien vice-ministre de l’Economie et partisan de ne pas rembourser la dette extérieure. Correa a également annoncé que la direction de la compagnie pétrolière nationale Petroecuador serait assurée par Carlos Pareja Yanuzzelli, responsable de la rupture du contrat avec l’entreprise américaine Occidental et de l’expropriation de tous les biens de cette dernière. Cette décision avait conduit Washington à suspendre immédiatement la négociation d’un accord de libre-échange avec Quito.


A l’annonce de la victoire de Rafael Correa, les rues de Quito et de Guayaquil, les principales villes du pays, sont restées calmes. Même dans les différents QG de campagne, l’euphorie était là, mais contenue. Pour Diego Araujo Sánchez, du quotidien équatorien Hoy, on ressentait dimanche soir une certaine passivité dans la population : “Les 33 % de voix supplémentaires obtenues par Correa au second tour ne sont pas ceux d’électeurs totalement convaincus par son projet. Il s’agit plutôt d’un vote anti-Noboa”, a-t-il expliqué. “J’ai voté pour le moins mauvais”, ont ainsi confié beaucoup d’électeurs aux journalistes qui les attendaient à la sortie des urnes. Les plus instruits ont eu honte de l’image de Noboa D’après les premières analyses, Correa s’est imposé dans les régions de montagne, bastion des modérés et des diplômés, dans la capitale, Quito, et dans les régions de petits producteurs de bananes, comme la province d’El Oro. Ces petits entrepreneurs ont soutenu massivement Correa, ce qui témoigne du malaise qu’ils ressentent à l’égard des grandes compagnies bananières telles que celle de Noboa. Parmi les cadres, les professions libérales et les classes moyennes, le vote pour Correa a aussi été un vote contre le milliardaire.


Pour Diego Araujo Sánchez, les Equatoriens les plus instruits ont eu honte de la campagne menée par Noboa et de l’image qu’il a donnée ces derniers mois. En revanche, dans les provinces côtières, le discours de l’entrepreneur, axé sur le libre-échange, a continué de convaincre. Toute cette région, y compris Guayaquil, le principal port du pays, vit des échanges avec l’extérieur, ce qui explique que ses habitants se soient reconnus dans la vision économique et politique de Noboa. Le magnat de la banane a joué jusqu’à la dernière minute son rôle de candidat en campagne. Dimanche après-midi, il était arrivé pour voter à Guayaquil, sa ville natale, en costume-cravate et en Mercedes rouge. Avant d’entrer dans le bureau de vote, il avait lu devant les caméras quelques versets de la Bible à des centaines de sympathisants. Il assurait également avoir été victime d’une “sale guerre conçue par le diable” et orchestrée par certains médias, qui avaient critiqué ses méthodes démagogiques – comme la distribution systématique de fauteuils roulantes lors de ses meetings – et son discours populiste – il avait promis la création de 300 000 nouveaux logements par an et de millions d’emplois. Correa a fait preuve de plus de retenue le jour du scrutin, se contentant de demander aux Equatoriens, en particulier ceux qui vivent à l’étranger [3 millions étaient autorisés à voter], de ne pas s’abstenir : “Notre rêve est de construire une patrie où plus personne ne sera contraint d’émigrer, a-t-il déclaré, et où ceux qui sont partis pourront revenir et trouver santé, éducation, logement, travail et dignité.”


María Laura Carpineta Página 12

Correa, un nouveau Chávez ?

28 nov. 2006

ÉQUATEUR
Rafael Correa, élu président de la République dimanche 26 novembre, est considéré comme un partisan de la 'révolution bolivarienne' du président vénézuelien Hugo Chávez. Mais Correa pourrait jouer la carte de la sagesse et de la modération pour ne pas finir comme la plupart de ses prédécesseurs, renversés par la rue ou par le Parlement.


"Le triomphe de Rafael Correa, dimanche 26 novembre, qui était arrivé deuxième au premier tour de l'élection présidentielle, a bousculé tous les pronostics des sondages. Mais cette bataille électorale était la partie la plus facile de son ascension vertigineuse vers le pouvoir. La plus difficile commencera le 15 janvier, quand il assumera la présidence équatorienne avec un Parlement dominé par les partis politiques qui lui sont hostiles. Et avec le défi de convoquer une Assemblée constituante pour 'refonder' la république d'Equateur, comme il l'a annoncé dans son programme", observe le quotidien colombien El Tiempo.


Rafael Correa, économiste, candidat de gauche indépendant, a remporté par 59 % des voix – après dépouillement de 85 % des bulletins – le second tour de l'élection présidentielle équatorienne contre le candidat de droite Alvaro Noboa, magnat local de la banane. Or c'est le parti de ce dernier, le Parti du renouveau institutionnel pour l'action nationale qui, avec 28 sièges sur 100, devrait réussir à former une coalition au Parlement élu en octobre. Le nouveau président équatorien ne dispose pas d'un seul parlementaire de son camp puisque son mouvement politique n'a présenté aucun candidat aux élections législatives. "Lors de sa première déclaration publique après son triomphe électoral, le président élu Rafael Correa a eu la maturité d'admettre que beaucoup de gens qui ont voté pour lui l'ont fait non pas par sympathie pour ses idées mais plutôt pour éviter que son concurrent ne gagne", affirme le quotidien équatorien El Universo.


En effet, si Correa inquiète par son amitié avec le président vénézuélien Hugo Chávez et par son nationalisme économique, son adversaire "n'a proposé pendant la campagne électorale que des appels à Dieu, à la Bible, aux miracles ou aux croyances chrétiennes d'une population oscillant entre la colère, le désespoir et l'émigration", explique le quotidien espagnol El País. Le journal madrilène refuse l'idée que Correa est "la version équatorienne d'un Hugo Chávez ou d'un Fidel Castro comme beaucoup le craignent sur le continent latino-américain et ailleurs. Il est cependant évident que Chávez a montré qu'il était disposé à offrir à Correa sa sympathie et son aide politique et matérielle. Après la Bolivie et le Nicaragua, Chávez, à la veille de sa réélection probable [lors de l'élection présidentielle du 3 décembre prochain], considère sans aucun doute qu'il a étendu son champ d'influence en Amérique latine." Le quotidien péruvien La República s'accorde à dire que le nouveau président ne va pas "se jeter dans les bras de Chávez" même si "il y a un lien entre leurs discours gauchistes", admet le journal de Lima. Rafael Correa a ainsi fait campagne sur le thème de la lutte contre la pauvreté et pour le démantèlement des élites politiques. Il s'oppose au TLC, le Traité de libre-échange que les Etats-Unis s'efforcent de mettre en place avec plusieurs pays latinos. Il songe également à réintégrer l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), que l'Equateur, cinquième producteur d'Amérique latine, a quitté en 1992. "Mais les déclarations de Correa sur ses sympathies avec Chávez sont pour l'instant prudentes.


Quoi qu'il en soit, le triomphe de Correa redessine la scène politique andine, entourant la Colombie et le Pérou de pays notoirement à gauche", affirme La República. "L'Equateur est un des pays au monde avec le plus d'ex-présidents encore en vie", rappelle le quotidien espagnol ABC, qui se réfère à la grande instabilité qui pèse sur la vie politique équatorienne. Le pays a connu cinq présidents en dix ans. Trois d'entre eux n'ont pas pu finir leur mandat, renversés par la rue ou le Parlement. Le président actuel Alfredo Palacio est arrivé au pouvoir en avril 2005 après le renversement de Lucio Gutiérrez. Pour le Financial Times, cela handicape le mandat à venir de Correa qui devrait "être un leader particulièrement faible". Le quotidien britannique évoque "l'inexpérience gouvernementale du nouveau président", qui a seulement occupé le poste de ministre des Finances et pendant à peine trois mois en 2005. Il devra pourtant faire face à "un Parlement divisé et contrôlé par ses opposants".


"Washington n'a donc pas à s'inquiéter" de cette nouvelle victoire d'un proche de Chávez. "Le pragmatisme et la modération doivent guider les Etats-Unis dans leurs relations avec ce nouveau dirigeant latino-américain", conseille le FT. Pour le quotidien équatorien Hoy, "le problème du président Correa n'est pas sa solitude politique. Un président est toujours seul. Son souci sera de ne pas se laisser entraîner dans des alliances contre-nature pour obtenir l'aval du Parlement. Il doit avoir un projet politique basé sur une pensée stratégique. Une équipe cohérente, concentrée sur les objectifs, est ce dont le pays a besoin. Cela ne veut pas dire qu'il ne doit pas négocier avec les partis qui lui sont opposés mais c'est le projet politique pour la nation qui doit prédominer. Cela n'a pas d'importance que les électeurs l'aient élu par rejet de l'autre candidat. C'est une grande occasion pour nous que de participer à l'émergence de la nouvelle gauche latino-américaine."


Hamdam Mostafavi

Un allié de Chávez sur le point de conquérir le pouvoir

hebdo n° 832 - 12 oct. 2006


ÉQUATEUR

A quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle du 15 octobre, le candidat de gauche Rafael Correa, un universitaire de 43 ans, est désormais le grand favori. Une perspective qui n’est pas du goût de Washington.


Si la tendance se confirme, le nouveau président de l’Equateur sera vraisemblablement un allié du Vénézuélien Hugo Chávez. C’est du moins ce qu’annonçaient les sondages publiés fin septembre, selon lesquels le candidat de gauche Rafael Correa récolterait 44 % des voix. Le conservateur León Roldós arrive en deuxième position, avec 39 % d’intentions de vote. Les bons rapports de Rafael Correa avec le président du Venezuela ne sont un secret pour personne. Au début de la campagne électorale, le candidat s’était d’ailleurs rendu à Caracas pour rencontrer Chávez. Après que ce dernier eut qualifié George Bush de “diable” devant les Nations unies, les journalistes se sont empressés de demander à Correa ce qu’il en pensait. “Le diable est peut-être maléfique, mais au moins il est intelligent. Bush est un président extrêmement maladroit, qui a fait beaucoup de mal à son pays et au monde”, a-t-il répondu. Le candidat de gauche, un universitaire âgé de 43 ans, n’a rien d’un imbécile. Rafael Correa, qui se décrit comme un “chrétien de gauche mais pas un marxiste”, a vu sa popularité progresser de façon spectaculaire, tandis que la candidate sociale-chrétienne, Cynthia Viteri, dégringolait dans les sondages et que León Roldós et le magnat de la banane Alvaro Noboa stagnaient.


Il y a huit mois encore, Correa se plaçait avec difficulté troisième dans les sondages, avec seulement 5 % d’opinions favorables – un classement qui ne l’empêchait pas d’être très respecté car son passage au ministère de l’Economie, sous la présidence d’Alfredo Palacio, lui a valu une excellente image. A tel point que sa cote de popularité atteignait les 57 %, au moment où celle de Palacio n’était que de 38 %. “Les raisons de son succès sont au nombre de trois”, affirme Mariela Ceballos, journaliste politique à l’Universo de Guayaquil, le journal le plus lu en Equateur. “Primo, la grande créativité de sa campagne. Secundo, le charisme du candidat. Tertio, le fait qu’il dise aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre : le Congrès et les députés, dehors. S’il est élu, Rafael Correa a promis qu’il convoquerait une Assemblée constituante pour modifier le pouvoir législatif et mettre en place un nouveau Congrès”, ajoute la journaliste. Il est fort probable que Correa ne soit pas du goût de Washington. Le fait qu’il soit nationaliste, qu’il soit favorable à une alliance avec l’Argentine, le Venezuela et la Bolivie, et qu’il ait affirmé sa détermination de ne pas signer d’accord de libre-échange avec les Etats-Unis, rien de tout cela n’est pour plaire aux Etats-Unis. Et, depuis qu’il s’est prononcé en faveur d’un moratoire sur le paiement de la dette extérieure, il n’est pas non plus dans les petits papiers des organismes de crédit internationaux.


Dans cette campagne, les sondages restent néanmoins sujets à caution. Les directeurs des grands instituts sont en effet tous des proches de responsables politiques. Blasco Peñaherra, de l’institut Markett, a participé au mouvement qui a renversé l’ancien président Lucio Gutiérrez. Augusto Bernal, de Consultar, reconnaît que sa société a signé des contrats avec le candidat Alvaro Noboa. Chez Cedatos, Polibio Córdova est un ancien conseiller de Lucio Gutiérrez. Quant à Jaime Durán, d’Informe Confidencial, il a entretenu des rapports avec Jamil Mahuad. Résultat des courses : personne ne sait plus qui croire. Une chose est cependant certaine : l’Equateur a connu pas moins de cinq présidents (Abdalá Bucaram, Jamil Mahuad, Gustavo Noboa, Lucio Gutiérrez et Alfredo Palacio) en dix ans, et le pire serait que le prochain finisse comme ses prédécesseurs [presque tous ont eu des démêlés avec la justice]. Les 14 millions d’Equatoriens ne méritent pas tant d’instabilité.

Tant de roses et quelques épineux problèmes

hebdo n° 830 - 28 sept. 2006

ÉQUATEUR

Parce qu’elles y poussent belles, grandes et droites, le pays est devenu le premier exportateur mondial de roses. Pour les ouvrières du secteur, la vie n’est pas si rose...


Sous la gigantesque bâche de plastique blanc qui s’étend dans la vallée équatorienne de Cayambe, à 80 kilomètres au nord de Quito, un nombre incalculable de réflecteurs puissants, conçus pour accélérer la croissance des fleurs, sont braqués en permanence sur la nouvelle star de l’économie nationale : la rose. Celles de plus de un mètre de haut qui fleurissent chaque matin l’hôtel le plus cher du monde, le select et lointain Buró Al-Arab (à Dubaï), ont été cueillies dans ces serres. De même que celles qui ornaient la cathédrale de la Almudena le jour du mariage du prince des Asturies. Grâce à l’extraordinaire qualité de la rose de Cayambe, considérée par les experts comme la plus belle du monde, l’Equateur est devenu le premier exportateur mondial du secteur. L’industrie de la rose, dont la production atteint 2,5 milliards d’unités par an, a injecté 320 millions d’euros dans les caisses du pays en 2005. Seuls les dollars du pétrole et des bananes ont fait mieux. Avec de tels chiffres, il n’est pas étonnant que la région de Cayambe (80 000 habitants, dont 47 % d’Indiens) soit un des derniers bastions nationaux à résister à la vague d’émigration qui a emporté 3 millions d’Equatoriens. Loin de diminuer, la population de cette région ne cesse d’augmenter. Mais cette industrie florissante ne sent en réalité pas toujours la rose : pollution, problèmes sanitaires, bas salaires, longues journées de travail, harcèlement sont autant d’épines auxquelles sont confrontés les travailleurs du secteur. Le cas le plus choquant est celui des enfants “Ce que vous devez faire si vous êtes victime de harcèlement sexuel dans les plantations” : cette affiche est accrochée sur le mur du centre Fundess, qui fournit un soutien juridique aux employés des serres de Cayambe. Les travailleurs viennent y raconter à César Estancio, le directeur du centre, qu’on les a renvoyés “parce qu’on n’avait plus besoin d’eux”. D’autres se plaignent de souffrir d’asthme, de boitements ou de migraines, causés par les pesticides. Enfin, certaines femmes ont refusé d’obéir à leur chef quand celui-ci leur a lancé : “Allez, sois mignonne, viens avec moi à l’hôtel du coin.” “Nous défendons les droits de ces travailleurs, car deux entreprises seulement sur les 400 qui travaillent dans le secteur ont un syndicat”, explique César Estancio.


Le cas le plus choquant est celui des enfants, qui représentent 20 % des effectifs du secteur, selon l’Organisation internationale du travail (OIT). En théorie, il est illégal de faire travailler les mineurs de moins de 15 ans. Et pourtant… “Je n’aime pas les fleurs parce que c’est un travail ennuyeux et qu’il fait très chaud”, se plaint le petit Jairo H., une visière rouge sur la tête et le pantalon usé par le travail et la chaleur. Il a commencé par donner un coup de main à ses parents le samedi (99 % des enfants de Cayambe ont quelqu’un de leur famille qui travaille pour l’industrie de la rose) et il a fini par se retrouver le dos courbé toute la semaine. Il manipule fréquemment des produits chimiques et des résidus, deux activités strictement interdites par l’OIT. Jairo ne va plus à l’école. Il a 11 ans et le visage brûlé par le soleil. C’est justement dans les rayons qui brûlent Jairo que réside le secret de l’extraordinaire qualité des roses de Cayambe. En effet, plus ces fleurs sont cultivées près du parallèle zéro – l’équateur, où les rayons du soleil tombent perpendiculairement à la surface de la Terre –, plus grande est leur qualité. Les Equatoriens ont découvert cette poule aux œufs d’or il y a moins de vingt ans. Les deux premiers hectares qui ont été plantés, en 1983, paraissent ridicules à côté des 3 870 hectares actuels, sur lesquels travaillent 60 000 personnes. Sur les 400 entreprises équatoriennes qui travaillent dans le secteur de la rose, plus de la moitié sont situées à Cayambe, qui fournit 70 % de la production nationale. Théoriquement, la journée de travail dans les serres commence à 6 heures du matin et se prolonge sans interruption jusqu’à 14 heures, ce qui fait donc un total de quarante heures hebdomadaires, le maximum établi par la loi. Les heures en plus doivent être payées en heures supplémentaires, mais peu d’entreprises s’en acquittent. En juillet dernier, Celinda Fernández s’est avisée de réclamer un supplément de 25 dollars, nettement au-dessous de ce que lui devait son employeur, Hoja Verde. Elle a été renvoyée.


Maria a le corps gonflé, des taches sur la peau Celinda, mère de deux enfants, est mariée à un ouvrier de la rose. Quand elle travaillait aussi dans ce secteur, Celinda gagnait 118 euros par mois, dont il ne lui restait que 95 euros après avoir payé le transport, la sécurité sociale, ainsi qu’une sorte de caution destinée à couvrir les risques de détérioration du matériel. Dans l’industrie de la rose, 60 % des travailleurs sont des femmes ; 55 % d’entre elles, dont 71 % ont entre 20 et 24 ans, ont déjà été victimes de harcèlement sexuel et 18,81 % ont eu des rapports sexuels avec leurs collègues ou supérieurs contre leur gré ; 90 % ont été agressées sexuellement. Ces chiffres proviennent de l’étude intitulée “Harcèlement sexuel au travail dans le milieu de la floriculture”, conduite par Norma Mena, de l’Institut d’écologie et de développement des communautés andines (IEDECA). María Imbaquingo, une Indienne à la peau foncée et à la longue tresse, membre du syndicat de l’entreprise Florequisa, connaît bien le sujet. Elle a elle-même subi une tentative de viol et a enduré les insinuations répétées de ses collègues masculins. Elle a le corps gonflé, des taches sur la peau, le dos en compote, et elle a dû se faire opérer l’œil car trop de poussière s’y était accumulée. Il y a des jours où elle ne peut même pas bouger. “Même les médecins ne savent pas ce que j’ai ; ils me disent de ne pas retourner travailler dans les serres. C’est bien gentil, mais comment je fais alors ?” ironise-t-elle. Selon un rapport du Centre d’études et de conseil en santé (CEAS), 57,9 % des travailleurs ont un taux d’acétylcholinestérase [une enzyme du système nerveux] trop bas. Le directeur du centre, Arturo Campaña, explique : “Un phénomène d’hyperstimulation du système nerveux se produit lors d’une exposition à des composés organophosphorés.” Vertiges, pertes de mémoire, irritations, problèmes respiratoires, troubles de la coordination, évanouissements et infections en sont les conséquences. “Il n’y a pas de roses sans épines”… Ce dicton n’est nulle part aussi vrai qu’à Cayambe.

Isabel García Martín El Mundo

Avoir l’argent du pétrole sans vendre le pétrole

ÉQUATEUR

Le président Correa propose de renoncer à l’exploitation d’un immense gisement pétrolier de l’Amazonie équatorienne à condition que la communauté internationale indemnise son pays. Sera-t-il entendu ?


Le président de l’Equateur, Rafael Correa, a fait une singulière proposition devant les Nations unies, le 24 septembre dernier, pour lutter contre le réchauffement de la planète, proposition qui impliquerait pour son pays de renoncer à 760 millions de dollars par an. “L’Equateur est prêt à faire de grands sacrifices, avec justice et créativité, pour lutter contre le réchauffement”, a déclaré M. Correa, avant de préciser ses intentions : son pays pourrait renoncer à l’exploitation du gisement pétrolier ITT (Isphingo-Tambococha-Tiputini, zone amazonienne où se trouve ce gigantesque gisement), situé dans une zone écologique hautement sensible appelée Yasuní et déclarée “réserve de la biosphère” en 1989 par l’UNESCO. On imagine la stupeur de l’assistance. “Notre pays s’engagerait à ne pas extraire les quelque 920 millions de barils de pétrole par an que le gisement pourrait fournir. Et donc à conserver intacte l’une des régions les plus riches de la planète du point de vue de la biodiversité”, a expliqué le président équatorien.


Pour prix de ce “sacrifice”, M. Correa a exigé, au nom de la “coresponsabilité de la communauté internationale, une indemnisation minimale pour tenir compte des biens environnementaux” qui seront créés par cette mesure, biens qui “profitent à toute la planète”, a-t-il souligné.


Cela étant, la proposition de renoncer au pétrole de l’ITT n’est pas une initiative du président Correa. Elle est défendue par des ONG qui luttent depuis des décennies contre l’exploitation pétrolière sauvage en Equateur. Ces ONG avaient ainsi lancé en avril 2007 la campagne “Yasuní dépend de toi”. Dans une interview téléphonique, Esperanza Martínez, présidente d’Acción Ecológica, organisation leader de cette campagne, explique les raisons du projet : “Avec d’autres ONG qui soutiennent cette campagne, nous dénonçons depuis longtemps l’activité pétrolière. Comme Oil Watch [un réseau international d’organisations écologistes], nous défendons depuis dix ans l’idée d’un moratoire sur l’expansion pétrolière. Parallèlement, nous avons exigé que les collectivités locales qui résistent à l’exploitation ne soient pas réprimées, mais au contraire récompensées, car elles sont les seules à empêcher par leur résistance que l’on poursuive l’extraction du pétrole et, donc, que l’on contribue au réchauffement.”


Dans ce contexte, explique-t-elle, “nous avons proposé au gouvernement de rechercher des solutions de rechange au projet pétrolier le plus important d’Equateur, celui de l’ITT”. Et de rappeler que l’Equateur a déjà payé un lourd tribut à l’exploitation pétrolière. “Ce n’est pas un hasard si c’est ici qu’a lieu le ‘procès du siècle’ contre Texaco [compagnie pétrolière américaine jugée pour catastrophe écologique].” Pour cette raison, poursuit la présidente d’Acción Ecológica, “l’Equateur s’y connaît en pétrole : nous souffrons directement de l’impact sur l’environnement, et on nous a trop longtemps raconté des sornettes – par exemple, que le pétrole allait nous faire sortir de la pauvreté”. Elle ajoute qu’un tel contexte est propice à la réflexion sur les alternatives. Toutefois, reconnaît-elle, “il n’est pas facile de convaincre le pays de la validité d’un tel projet”. Correa lui-même, dans son discours à l’ONU, a expliqué que le fait de ne pas exploiter le pétrole de l’ITT entraînerait “une perte considérable en termes d’investissements, près de 720 millions de dollars par an, une somme très importante pour un petit pays de 13 millions d’habitants, parmi lesquels environ 6 millions de pauvres”. Esperanza Martínez raconte que, dans un premier temps, le gouvernement a rejeté le projet, invoquant les énormes recettes qu’il pourrait tirer du pétrole du Yasuní. “En discutant avec le gouvernement, nous avons conçu un mécanisme d’indemnisation internationale qui nous paraît légitime, explique-t-elle. Car, évidemment, ne pas extraire ce pétrole entraînerait une réduction des émissions de CO2, et, par conséquent, bénéficierait à la planète entière.” Une telle option, néanmoins, n’a pas fait l’unanimité au sein de l’équipe gouvernementale. “Nous travaillons sur cette proposition depuis longtemps, note-t-elle. Dès la mise en place de l’actuel gouvernement, Albert Acosta, qui était alors ministre de l’Energie, a fait sienne la proposition. Le passé écologiste du ministre a joué un grand rôle, et il a su convaincre Correa.” “Le gouvernement a fixé une date butoir pour la viabilité du projet, le 1er juillet 2008, poursuit-elle. L’Espagne, l’Allemagne et l’Italie ont pris des engagements sérieux.” Les aspects économiques font l’objet des plus âpres discussions. “Le président a dit : ‘Je veux la moitié de ce que nous gagnerions en extrayant le pétrole.’” Dans son discours du 24 septembre, M. Correa a évalué très précisément le coût du sacrifice de son pays. “Pour l’Equateur, la non-exploitation du pétrole brut représente une perte d’au moins 10 à 15 dollars par baril. Or nous ne demandons au reste de l’humanité qu’une contribution de 5 dollars par baril pour préserver la biodiversité, protéger les peuples indiens en isolement volontaire qui y habitent et éviter les émissions de dioxyde de carbone. L’indemnisation que nous demandons au reste du monde se monte à environ 4,6 milliards de dollars.”


En exposant le projet à New York, le président Correa a “fait avancer les choses”, reconnaît Esperanza Martínez, même si le débat se poursuit en Equateur. “Nous avons travaillé et discuté avec des candidats de différents partis pour que la Constituante aborde résolument la question de l’abandon de l’exploitation pétrolière, commente Mme Martínez. Mais il faut également repenser le modèle économique du pays, c’est-à-dire passer d’un modèle d’extraction à un modèle de production, de transformation, où la question de l’environnement joue un rôle central. Certes, ce gouvernement parle de socialisme du XXIe siècle, mais, comme le socialisme du siècle dernier, nous risquons d’oublier l’environnement.” En outre, selon la présidente d’Acción Ecológica, “l’Equateur est inscrit dans un quadrilatère : d’un côté, nous avons le Brésil, qui a une vision proche de celle des Etats-Unis et tient par conséquent à ce que des pays comme le nôtre restent des exportateurs d’énergie ; de l’autre, nous avons le Venezuela, qui veut lui aussi que nous restions un pays pétrolier.” Et d’ajouter : “Le Brésil, par exemple, est le pays le plus intéressé par l’ITT. Il a déjà fait des propositions au gouvernement de l’Equateur ; mais, de son côté, le Venezuela nous a proposé une exploitation conjointe.” L’Equateur promouvra-t-il une troisième voie ? Le président Correa semblait le confirmer lorsqu’il a conclu sa participation à la réunion organisée par l’ONU : “La proposition équatorienne revient à repenser la notion de valeur. Dans l’économie de marché, la seule valeur possible est la valeur d’échange, le prix. Pour la première fois, un pays pétrolier, l’Equateur – où le tiers des recettes de l’Etat provient de la manne pétrolière – renonce à ses richesses pour le bien-être de l’humanité tout entière et invite le monde à participer à cet effort à travers une juste indemnisation, pour qu’ensemble nous jetions les bases d’une civilisation plus humaine et plus juste.”

Matteo DeanProceso


mercredi 24 octobre 2007

Actualité du centre Domingo Savio


Durant l'été 2007, le Collectif Artishow a été amené à travailler avec le Centre de formation pour jeunes apprentis Domingo Savio (Conocoto, Quito), de la Fondation Don Bosco, dans le cadre de son programme d'éducaion sexuelle, prévention du Sida et des grossesses précoces en Equateur.

Etant actuellement en train de mettre en place un échange culturel entre ce centre et un collège français de Rouen, nous souhaitons vous donner régulièrement des informations sur l'actualité de cette structure regroupant une trentaine de jeunes garçons, âgés de 12 à 19 ans. Nous profitons de la présence sur place d'Anna, jeune volontaire française, pour lancer cette activité. Celle-ci aidera peu à peu plusieurs des garçons du centre à prendre le relais dans la transmission des informations les concernant, de façon à ce que ce dispositif reste actif après son retour en France.

Ce que nous vous proposons ici est donc d'en savoir un peu plus sur le quotidien de cette structure socio-éducative: activités des jeunes, déroulement des ateliers, thèmes des cours...

Semaine du Lundi 15 octobre 2007

Cette semaine, en vue de l’échange qui va s’organiser entre la fondation ‘Don Bosco’ et le collège Fontenelle de Rouen, nous avons mis en place un atelier de Français. Les élèves équatoriens de la fondation Don Bosco vont recevoir un enseignement de la langue française selon leurs capacités et leur motivation afin de favoriser l’échange culturel qui va être mis en place avec les élèves français. La volontaire française, Anna, se charge de l’enseignement des bases orales et écrites de la langue tout en mentionnant les spécificités culturelles françaises et en donnant quelques élements de géographie. Deux groupes ont été formés selon le potentiel et l’intérêt des élèves. Le cours sera de 1h30, deux fois par semaine pour chaque groupe.

La plupart des élèves montrent un grand intérêt mais paraissent quelque peu découragés par la difficulté. Juan s’exclama ce matin: ‘bonjour’ y ‘merci’ son las únicas palabras que conozco y no pienso que voy a lograr aprender otras! (“Bonjour” et”Merci” sont les seuls mots que je connaisse en français, et je ne pense pas que je pourrais en apprendre d’autres!”). Durant le premier cours, les élèves ont travaillé sur les formules de politesse et ont appris à se présenter. Ils ont également rempli une fiche qui va servir à évaluer leur niveau et les répartir dans deux groupes d‘une quinzaine d’élèves environ. Ainsi, il sera plus facile de travailler et de donner du temps a chacun. L'attitude des élèves pendant la classe de Français reflète assez bien leur comportement général. Tous ont un énorme besoin d’attention et de reconnaissance de leurs efforts. La plupart ne suit pas lorsque le professeur s’adresse à la classe entière. Cependant, ils réclament une attention personnelle et montrent un grand intérêt si elle s’adresse à chacun d‘eux en particulier. Cette attitude parait révélatrice d’un besoin d’attention et de tendresse que l’on retrouve également lorsque les jeunes effectuent d’autres activités. Le benjamin du groupe, José, semble doué de capacités de reflection et d ‘apprentissage exceptionnelles. Le contexte l’a malheureusement empêché de poursuivre l’école plus avant. Les plus âgés du groupe montrent également une grande volonté et des capacités pour apprendre. La différence d’âge rend plus difficile le choix des outils pédagogique, mais il est certain qu’il faille organiser des activités ludiques car les élèves s’ennuient assez facilement.


Par ailleurs, la Fondation Don Bosco est en train de mettre en place un projet théâtral avec un groupe de quinze jeunes. Avec l’aide de la volontaire française Anna et de trois stagiaires, Daria, Marie-José et Becky, les élèves vont monter un spectacle de théâtre qu’ils présenteront avant les vacances de Noël. Le choix de l’oeuvre n’est pas encore défini, mais il serait intéressant de travailler sur une oeuvre contemporaine d’un auteur latino-américain. Ce projet théâtral englobe également la création d’un espace dédié aux arts de la scène. La fondation dispose d’une grande salle avec une scène qui va être agrandie. Des rideaux vont également être installés, et les murs décorés d’affiches afin de créer une ambiance théâtrale. Les premiers cours, qui ont eu lieu la semaine dernière, ont permis de selectionner les jeunes qui avaient les capacités, et surtout l’envie, de participer à ce projet qui nécessite un engagement important. Ainsi les élèves ont fait des exercices d’imitation devant le groupe, des exercices pour apprendre à rire, ainsi que des improvisations sur des thèmes donnés. Cela a permis de définir le groupe théâtral, toujours en accord avec la volonté des jeunes. L’autre groupe va suivre un atelier de musique et de danse animé par Don Ramiro. L’objectif final sera de joindre les deux groupes pour présenter un spectacle total.

En plus des activités théâtrales et des cours de langue qui ont lieu l’après-midi, les jeunes continuent bien évidemment leurs ateliers du matin. Les vingt-huit jeunes de la fondation Don Bosco sont répartis dans deux ateliers, la ferronnerie et la charpenterie. « El maestro Fausto » s’occupe de la charpenterie et « El Profe Paul » de la ferronnerie. Les élèves reçoivent un enseignement aussi bien théorique que pratique.



Nombreux sont ceux qui n’ont pas terminé l’école primaire et qui n’ont que peu de bases, aussi bien en mathématiques qu’en espagnol, beaucoup étant issus de communautés indigène ou la langue vernaculaire est le quechua. Les deux enseignants tentent donc de les remettre à niveau. Ayant quitte l’école et commencé à travailler, les élèves ont également des difficultés à se positionner par rapport à l’apprentissage. Ils viennent aux cours sans feuilles ni stylo, demandent fréquemment s’ils doivent recopier ce qui est au tableau et veulent savoir où ils doivent l’écrire. Dans la classe, les élèves ne sont donc pas très autonomes, ils ont un besoin constant de soutien personnel alors qu’ils font paradoxalement preuve d’un savoir faire et d’une autonomie qui surprend le néophyte dans l’atelier : a douze ans, José sait souder, découper des feuilles de fer, limer et fabriquer des objets avec professionnalisme. Cette semaine, les élèves de l’atelier de ferronnerie fabriquent des girouettes ainsi que des pièces métalliques qui vont servir à la réalisation d’un lit que fabriquent les charpentier.



Angel, le travailleur de bois le plus expérimenté s’occupe de la tête et du fond du lit tandis qu’Ernesto coupe et lime les barres transversales. A la question « Qu’allez vous faire du lit ? », les jeunes répondent qu’ils ne savent pas !...Mais pourquoi pas le vendre ?... Les bancs réalisés la semaine passée sont destinés à une église, de quoi donner confiance à nos charpentiers en herbe : leur travail est bel et bien reconnu. Quant aux plus jeunes de l’atelier de charpenterie, ils fabriquent avec sérieux des tablettes à dessin industriel. Maestro Fausto veille sur eux avec fermeté et savoir faire, car il s’occupe depuis une vingtaine d’années d’enfants des rues, les aidant dans leur formation professionnelle et leur réinsertion.


Tous les élèves, même les débutants, font preuve de professionnalisme. On regrette une chose cependant, les règles de sécurité ne sont pas toujours respectées. En l’absence des professeurs, les jeunes soudent sans casque et s’exposent ainsi a des brûlures. Par ailleurs, ils ne se protègent pas toujours les oreilles du bruit de la scie a métaux. La fondation est pourtant munie du matériel nécessaire, mais les jeunes ne se rendent pas bien compte des conséquences pour leur santé. Il faut donc qu’ils prennent conscience des risques de leur futur métier afin de travailler dans les meilleurs conditions possibles. Les professeurs s’efforcent de les faire évoluer dans la bonne direction.
Anna Postel