mercredi 5 mars 2008

Au village des vieux vaillants

21 janvier 2008

Vilcabamba, dans le sud de l'Equateur, héberge un nombre inhabituel de centenaires et de nonagénaires. Le quotidien espagnol El País est allé sur place pour tenter de percer le secret de cette exceptionnelle longévité.

De Vilcabamba (Equateur) "Quand je suis née ? Euh… il y a pas mal d'années", répond María Saca, une gentille vieille dame aux yeux voilés, assise dans une boutique de téléphones. Elle ajoute qu'elle ne se rappelle pas la date, mais qu'elle est très vieille. Il est presque onze heures du matin sur la grande place de Vilcabamba, un village de la province équatorienne de Loja, situé dans une cuvette andine, à 1 565 mètres d'altitude. Dans les années 1970, Vilcabamba s'est hissé au rang de mythe, grâce entre autres à un article du National Geographic, par la longévité de sa population. Cette particularité a attiré sur place des hippies et des célébrités en quête du secret de la vie éternelle ; aujourd'hui, le bourg est devenu une destination touristique de choix.

Víctor Burneo, un quasi-centenaire très alerte, vient d'entrer dans l'église principale. Ses 92 ans se devinent à peine. Il a la peau très blanche, la démarche lente mais cadencée. L'âge réel des habitants de Vilcabamba a toujours été controversé. On parle notamment de José David Toledo, qui aurait vécu 140 ans, et de Miguel Carpio, mort à 136 ans.

Les deux hommes seraient décédés dans les années 1960, juste avant que ce lieu n'acquière une renommée mondiale. "Moi, j'ai déjà vécu un siècle", assure José Medina, qui dit avoir 102 ans. Des médecins et des scientifiques étudient depuis une quarantaine d'années les conditions qui peuvent expliquer une telle longévité. Le Japonais Kokichi Otani s'est particulièrement intéressé à l'eau du village, riche de 22 minéraux. Provenant de plusieurs petites rivières (Yambala, Capamaco et Chamba) et du sous-sol, cette eau recèle du potassium, du calcium, du fer, du sodium, et surtout du magnésium, un élément minéral qui joue un rôle très important dans la prévention de l'artériosclérose. Un régime pauvre en viande – le plat typique de la région est le repe, une soupe au lait avec des haricots rouges, de la banane et autres végétaux –, l'activité physique permanente dans l'agriculture et surtout le climat joueraient un rôle dans cette longévité exceptionnelle. En effet, à Vilcabamba, les températures sont agréables, elles varient peu (entre 18 et 24 °C toute l'année) et il n'y a ni fortes pluies ni gelées.

Les recherches scientifiques ont commencé à changer la vie du village. On raconte ici l'histoire d'une scientifique allemande qui a réussi à avoir une relation sexuelle avec Manuel Pardo, 95 ans, dans le cadre de son expérience. A force d'être un sujet d'observation, Vilcabamba ne vit plus au même biorythme culturel qu'autrefois. On ne peut pas parler d'invasion – on compte environ 200 étrangers pour 3 200 habitants –, mais le village est tout de même devenu une attraction touristique importante. Dans ses rues, dans ses faubourgs, on trouve des hôtels, des pensions, des restaurants aux menus diversifiés – et bien sûr des cybercafés. Víctor Burneo, le nonagénaire qui entrait dans l'église, n'est pas gêné, dit-il, par la présence d'étrangers, venus pour la plupart des Etats-Unis, mais aussi d'Allemagne, d'Italie, de Nouvelle-Zélande, du Mexique ou de France (mais pas un seul Espagnol). Certes, il y a bien eu quelques poussées de xénophobie, mais elles ont été de courte durée, assure Christian Mansilla, un Argentin de Córdoba qui travaille à l'auberge Madre Tierra.

Le village compte une ou deux discothèques : l'une d'entre elles annonce, au milieu de la place, une fête prochaine. Toute une faune new age ou hippie se donne rendez-vous à Vilcabamba dans une joyeuse ambiance. Mais, tandis que la modernité s'impose, les plus de 100 ans se font moins nombreux. "Il en est mort plusieurs d'un seul coup", explique un chauffeur de taxi. Il n'empêche qu'on voit dans le village beaucoup de gens de 80 ou 90 ans qui semblent se porter comme des charmes. C'est le cas de Víctor Burneo, de son ami Agustín Jaramillo, 96 ans, et de sa sœur, 85 ans.

Finalement, cela ne paraît pas si étonnant. Vilcabamba a beau ne pas être figé dans le passé, on y prend encore le temps de vivre. Mais toutes les nouveautés n'y sont pas les bienvenues. Ainsi, l'année dernière, les habitants se sont opposés à la concession d'une mine d'or au flanc de la colline qui domine le village. Elle a une forme étrange : les gens d'ici l'appellent Mandango, ce qui signifie "dieu couché".

Repères:
• L'humain le plus vieux du monde est de sexe féminin – l'Américaine Edna Parker, née le 20 avril 1893, détient le titre de doyenne de l'humanité depuis le décès, le 13 août dernier, de la Japonaise Yone Minagawa – celle-ci était née le 4 janvier 1893• Chez les hommes, le record est détenu par un Japonais, Tomoji Tanabe, né le 18 septembre 1895. Il affirme que sa longévité provient de son mode de vie sobre, sans tabac ni alcool, et d'une alimentation saine, pauvre en lipides et à base de végétaux. Il a succédé à Emiliano Mercado del Toro, originaire de Porto Rico, décédé en janvier 2007 à l'âge de 115 ans.
• Avec 28 395 centenaires recensés en septembre 2006, le Japon détient le record de longévité mondiale. • En 2000, le monde comptait 180 000 centenaires. En 2050, on estime qu'ils seront 3,2 millions.

Ramiro Escobar La Cruz
El País

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