samedi 27 octobre 2007

Rafael Correa, la victoire avec modestie

hebdo n° 839 - 30 nov. 2006

ÉQUATEUR
En élisant le candidat de gauche au second tour de la présidentielle, le 26 novembre, les classes moyennes et les petits producteurs de banane ont surtout voulu barrer la route au milliardaire populiste Alvaro Noboa.


Dans le discours qui a suivi l’annonce de sa victoire au second tour de la présidentielle, le 26 novembre, Rafael Correa s’est montré conciliant, évitant toute attitude triomphaliste et revancharde. Après une campagne très agressive, cet économiste de 43 ans a cherché à dissiper quelques malentendus. Il a réaffirmé que le dollar resterait la monnaie du pays [l’Equateur a abandonné sa monnaie nationale, le sucre, en 2000] et invité tous ceux qui avaient les mains propres et la conscience nette à rejoindre son gouvernement. “Il n’y a pas de vainqueurs ni de vaincus parmi les citoyens, puisque c’est un projet citoyen qui a triomphé”, a-t-il affirmé, avant de retrouver ses militants dans son QG de campagne, dans le nord de Quito. Toute l’équipe d’Alianza País, son parti, a cherché à faire preuve de modération et évité de répondre aux déclarations d’Alvaro Noboa [le candidat de la droite et magnat de la banane]. “Je vais compter les bulletins un par un pour son bien [celui de Correa], le mien et celui du pays, et faire cesser ces mensonges”, a averti ce dernier, refusant d’admettre sa défaite.


A la surprise générale, le futur président [il prendra ses fonctions le 15 janvier 2007] a annoncé lors de son discours la composition d’une partie de son gouvernement : son chef de campagne, Gustavo Larrea, un dirigeant de gauche spécialiste des droits de l’homme, sera ministre de l’Intérieur. Le portefeuille de l’Energie sera confié à Alberto Acosta, un farouche opposant à la dollarisation, et celui de l’Economie à Ricardo Patiño, ancien vice-ministre de l’Economie et partisan de ne pas rembourser la dette extérieure. Correa a également annoncé que la direction de la compagnie pétrolière nationale Petroecuador serait assurée par Carlos Pareja Yanuzzelli, responsable de la rupture du contrat avec l’entreprise américaine Occidental et de l’expropriation de tous les biens de cette dernière. Cette décision avait conduit Washington à suspendre immédiatement la négociation d’un accord de libre-échange avec Quito.


A l’annonce de la victoire de Rafael Correa, les rues de Quito et de Guayaquil, les principales villes du pays, sont restées calmes. Même dans les différents QG de campagne, l’euphorie était là, mais contenue. Pour Diego Araujo Sánchez, du quotidien équatorien Hoy, on ressentait dimanche soir une certaine passivité dans la population : “Les 33 % de voix supplémentaires obtenues par Correa au second tour ne sont pas ceux d’électeurs totalement convaincus par son projet. Il s’agit plutôt d’un vote anti-Noboa”, a-t-il expliqué. “J’ai voté pour le moins mauvais”, ont ainsi confié beaucoup d’électeurs aux journalistes qui les attendaient à la sortie des urnes. Les plus instruits ont eu honte de l’image de Noboa D’après les premières analyses, Correa s’est imposé dans les régions de montagne, bastion des modérés et des diplômés, dans la capitale, Quito, et dans les régions de petits producteurs de bananes, comme la province d’El Oro. Ces petits entrepreneurs ont soutenu massivement Correa, ce qui témoigne du malaise qu’ils ressentent à l’égard des grandes compagnies bananières telles que celle de Noboa. Parmi les cadres, les professions libérales et les classes moyennes, le vote pour Correa a aussi été un vote contre le milliardaire.


Pour Diego Araujo Sánchez, les Equatoriens les plus instruits ont eu honte de la campagne menée par Noboa et de l’image qu’il a donnée ces derniers mois. En revanche, dans les provinces côtières, le discours de l’entrepreneur, axé sur le libre-échange, a continué de convaincre. Toute cette région, y compris Guayaquil, le principal port du pays, vit des échanges avec l’extérieur, ce qui explique que ses habitants se soient reconnus dans la vision économique et politique de Noboa. Le magnat de la banane a joué jusqu’à la dernière minute son rôle de candidat en campagne. Dimanche après-midi, il était arrivé pour voter à Guayaquil, sa ville natale, en costume-cravate et en Mercedes rouge. Avant d’entrer dans le bureau de vote, il avait lu devant les caméras quelques versets de la Bible à des centaines de sympathisants. Il assurait également avoir été victime d’une “sale guerre conçue par le diable” et orchestrée par certains médias, qui avaient critiqué ses méthodes démagogiques – comme la distribution systématique de fauteuils roulantes lors de ses meetings – et son discours populiste – il avait promis la création de 300 000 nouveaux logements par an et de millions d’emplois. Correa a fait preuve de plus de retenue le jour du scrutin, se contentant de demander aux Equatoriens, en particulier ceux qui vivent à l’étranger [3 millions étaient autorisés à voter], de ne pas s’abstenir : “Notre rêve est de construire une patrie où plus personne ne sera contraint d’émigrer, a-t-il déclaré, et où ceux qui sont partis pourront revenir et trouver santé, éducation, logement, travail et dignité.”


María Laura Carpineta Página 12

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