samedi 27 octobre 2007

Montée des tensions avec la Colombie

hebdo n° 862 - 10 mai 2007

ÉQUATEUR
Face aux incursions de la guérilla colombienne et à la politique d’éradication des cultures de coca menée par le gouvernement colombien, les autorités équatoriennes se mobilisent. Reportage.


De Quito A la frontière nord de l’Equateur, avec la Colombie, sur une frange de 640 kilomètres de forêt inhospitalière et suffocante, la situation est chaque jour un peu plus tendue. C’est par cette région que transitent les produits nécessaires au traitement et à la fabrication de la cocaïne. Les groupes armés et les narcotrafiquants colombiens y sont nombreux, car ils ont pris l’habitude de passer en territoire équatorien pour se ravitailler ou pour échapper à la justice de leur pays. C’est aussi dans cette zone que le gouvernement colombien pratique les épandages aériens de glyphosate [un puissant herbicide] en vue d’éradiquer les champs de coca. Leur impact sur la santé des habitants et l’écosystème est sans doute désastreux. [Ces épandages sont à l’origine de plusieurs incidents diplomatiques, Quito affirmant, rapports à l’appui, qu’ils sont nocifs, contrairement à ce qu’affirme Bogotá. Ils ont été suspendus en décembre 2005, puis rétablis en avril 2006 et de nouveau suspendus.]


Le gouvernement équatorien, qui veut faire respecter sa souveraineté, ne lésine pas sur les moyens. Les patrouilles permanentes de l’armée équatorienne dans cette région de la forêt amazonienne, la province de Sucumbíos, ont progressivement permis de démanteler un grand nombre de campements des narcotrafiquants et de la guérilla et de détruire des laboratoires de cocaïne, parfois très sophistiqués. “Nous faisons tout notre possible pour faire respecter notre frontière. Mais la forêt est très perméable et toutes sortes d’activités illégales y sont pratiquées”, explique le général Jorge Peña, commandant de la quatrième division de l’armée de l’Amazone. Notre équipe l’a suivi dans son travail, survolant la zone en hélicoptère et supervisant le travail au sol. Etant donné la proximité du danger, le gilet pare-balles était de rigueur. A l’intérieur d’une tente rapiécée sont exposés des fusils, des bombes artisanales, des grenades, des cartes et de faux uniformes militaires arborant sur les manches le portrait de Che Guevara et le drapeau colombien. “Ce sont des armes et des munitions saisies ce matin, lors de la capture de huit Colombiens et d’un Equatorien soupçonnés d’être des militants des FARC. L’un d’entre eux, le commandant Richard, s’est rendu sans opposer de résistance”, explique le général Peña. “C’est un coup dur pour eux. Dans ce genre de cas, nous devons prendre des mesures de sécurité très importantes”, souligne le major Jorge Villalba, chef des relations publiques de la force terrestre. Selon ce dernier, il y a peu d’affrontements armés à la frontière nord de l’Equateur. “J’espère que nous n’aurons jamais à utiliser les armes pour repousser cette menace. Chaque mort est une perte pour l’humanité”, lâche-t-il.


Le conflit prend chaque jour un peu plus d’ampleur Mais cette tension latente affecte la population civile, qui vit dans une angoisse perpétuelle. Sur les rives du río San Miguel, frontière naturelle entre les deux pays, nous rencontrons un jeune homme de 28 ans d’origine colombienne, vivant dans une misérable cabane de bois avec ses deux enfants nés en Equateur. Il évite notre regard et refuse d’aborder le sujet, par peur des représailles. “Vous, les journalistes, une fois que vous avez vos informations, vous pouvez partir, mais nous, les paysans, on reste dans cet enfer. Ces gens n’ont aucune pitié, même pas pour les plus faibles. Qui sait s’ils ne vont pas m’accuser de l’arrestation de ce commandant Richard ? lance-t-il. — Mais c’est une information confidentielle, comment le savez-vous ? demande une journaliste. — Moi, je ne sais rien. Laissez-moi tranquille”, répond-il brusquement en s’éloignant avec ses enfants.


On soupçonne une partie de ces habitants de collaborer – de leur plein gré ou non – avec les FARC. Le conflit entre les deux pays prend chaque jour un peu plus d’ampleur, en dépit du fait que l’Equateur, par solidarité avec la Colombie, a accueilli plus d’un demi-million de réfugiés, pour la plupart sans papiers. “Nous sommes au cœur d’un problème qui ne nous concerne pas, c’est vraiment injuste”, déplore Rosa María, une vieille femme équatorienne. L’“importation” de ce problème colombien l’a obligée à quitter son village natal, situé près de la frontière. “Cette région était ma terre natale, et je pouvais me déplacer librement, d’un point à un autre, de jour comme de nuit, avec ma famille. Aujourd’hui, cette terre n’appartient plus à personne. On ne sait jamais de quoi demain sera fait.” La population ne voit pas l’intérêt de tant de traités et de conventions si elle continue de souffrir chaque jour du manque de réponse à ses problèmes. Son inquiétude est à son comble depuis qu’elle en ressent les effets dans sa chair. Les épandages aériens de glyphosate sur les populations frontalières équatoriennes, qui devaient avoir lieu à une distance minimale de 10 kilomètres de la frontière commune, sont probablement nocifs pour la santé. “Mes enfants et mon épouse ont eu des taches sur la peau, ils ont contracté des grippes et d’autres maladies inexplicables”, signale Manuel Chinga, 45 ans. “Certaines femmes ont même fait des fausses couches. Car, même si les épandages durent peu de temps, ils sont fréquents. Des enfants sont nés avec des malformations et même les petits animaux ont été touchés.” La reprise des épandages a entraîné un incident diplomatique. Ils ont à nouveau été suspendus dans l’attente du verdict des commissions scientifiques des deux pays.


Daniela Creamer El Mundo

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