samedi 27 octobre 2007

Rafael Correa s’offre un couronnement rituel

hebdo n° 846 - 18 janv. 2007

ÉQUATEUR


Le nouveau président a reçu son bâton de chef des mains des chamans quechuas avant son investiture officielle. Une cérémonie à laquelle ont assisté ses homologues Evo Morales et Hugo Chávez.


Elle ne sait pas qui est Hugo Chávez. Le nom d’Evo Morales n’évoque rien non plus pour elle, et c’est bien normal. A l’instar de tous les habitants de Santa Cruz de Zumbahua, un village perdu dans les Andes, à plus de 3 800 mètres d’altitude, cette Indienne de 55 ans s’est rendue [le 14 janvier] sur la place du village pour assister à la cérémonie. “Mon fils m’a dit que de grandes personnalités allaient venir couronner Correa. Je voulais voir ça”, explique María Celedonia Pascuashi, en poncho multicolore et jupe de velours, coiffée du chapeau typique des Quechuas. Elle s’est placée face à l’estrade où le président élu, Rafael Correa, doit être investi suivant le rite indien. L’investiture de Zumbahua n’est que symbolique. Le “couronnement” officiel a eu lieu le lendemain à Quito, à deux heures de Zumbahua. Mais le nouveau dirigeant a voulu rendre hommage à la communauté où il a fait du bénévolat pendant un an, et ce longtemps avant de remporter les élections du 26 novembre, avec 56 % des voix. Il a invité le président du Venezuela, Hugo Chávez, et son homologue bolivien, Evo Morales.


Pour vivre l’événement en direct, 4 000 personnes se sont déplacées vers ce village pauvre, entouré de montagnes impressionnantes et de pâturages verts. Ici, pas d’eau potable, encore moins de téléphones ou de télévisions. Mais tout cela n’a pas empêché les rues non goudronnées de Zumbahua de se remplir, dès 6 heures du matin, de curieux venus de tous les coins du pays. Mario Salasaca, originaire d’Otavalo, une autre localité indienne située au nord, était présent. “Je voulais souhaiter la bienvenue au frère Chávez. Ce n’est pas tous les jours qu’il vient”, dit-il, transi de froid, un paquet de chips à la main. Le président est arrivé à Zumbahua vers 10 h 30, à bord d’un hélicoptère, une demi-heure avant Morales et Chávez. Il a été accueilli par d’énormes pancartes de bienvenue (“L’heure des pauvres a sonné”, “Oui à l’Assemblée constituante”) et de ferventes clameurs, en véritable héros. Il était vêtu d’un pantalon noir et d’une chemise blanche. Il a retrouvé avec émotion sa femme, la Belge Anne Malherbe, et ses trois enfants, qui l’attendaient sur l’estrade.


Quelques instants plus tard, les chamans ont entrepris la limpia [rite de purification] pour qu’il soit libéré de ses mauvaises énergies et qu’il entame la présidence du bon pied. Ensuite, ce natif de Guayaquil a évoqué les bons moments qu’il a passés à Zumbahua quand il était jeune. Il a laissé ici le souvenir d’un jeune homme au physique agréable, et surtout très travailleur. “C’était un garçon sérieux, il aimait travailler au moulin”, confirme María Blegui, une femme à l’air affable qui a été son enseignante. C’est elle qui lui a appris le quechua, ce qui lui a permis de faire le plein de voix indiennes aux élections. Tandis que Mme Blegui disait ces mots, les six chamans, ou yacchas, ont fait cercle autour de Correa pour le libérer des mauvais esprits. Ils ont d’abord invoqué Taita Inti (Père Soleil), puis Pachamama (Terre Mère), les forces de la nature. A l’aide de feuilles de mauve, d’eucalyptus et d’ortie, ils ont frotté énergiquement le corps du président, tandis que la foule hurlait : “Correa président !” ou “Vive l’Equateur !” La brume des premières heures de la journée a laissé place à un soleil accablant, qui a même provoqué quelques évanouissements.


L’étape suivante fut l’arrivée de Chávez et de Morales. Tandis que Correa restait au centre de la place, le Vénézuélien a surgi du coin d’une rue. Toutes les caméras se sont tournées vers lui. Et la foule a lancé : “Vive Chávez !” Vêtu de rouge et de noir, le président du Venezuela a salué le peuple et s’est placé à la droite de Correa. A sa gauche, plus discret, on a vu Morales, sans son fameux pull rayé, qu’il avait troqué contre un gilet noir. Peu après, un prêtre a dit une messe en quechua. Correa a écouté les bras croisés, impassible. Chávez ne cessait de saluer la foule. Il y avait des gens perchés sur les voitures, les autobus, les terrasses et même les toits. Les enfants des écoles ont entonné l’hymne national, toujours en quechua. Après quoi, le nouveau président a reçu le bâton de commandement, symbole du guide dans la tradition indienne. Les trois présidents ont ensuite reçu chacun un poncho rayé des mains de la reine du village, car, suivant la tradition, c’est à la femme de préparer les vêtements de l’homme. Morales a ensuite pris la parole, l’occasion pour lui de saluer ses “camarades” et de réclamer la fin de l’impérialisme. Puis Chávez a fait de même, regrettant au passage l’absence de son ami Fidel Castro.


Isabel García El Mundo

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